Expo ENTRELACS à Binche, vêtements et surnaturel

Texte et images D. LYSSE © 08-2023

Le Musée du Masque, à Binche, propose, une fois de plus, une exposition d’une qualité excellente : Entrelacs, à voir jusqu’au 24 septembre 2023. Il a rassemblé, cette fois, des vêtements, le complément classique du masque lorsqu’il s’agit de traiter avec des forces irrationnelles, qu’elles soient sociales ou plutôt abstraites, de l’ordre de la psychologie ou du surnaturel. Les objets proposés sont tous exceptionnels et les commentaires toujours pertinents.

Dans les costumes de fonction traditionnels, très peu de choses sont laissées au hasard ou à la fantaisie personnelle. Les motifs concrets ou abstraits, les couleurs, les matières, les parties écrites éventuelles sont tous porteurs de significations précises qui permettent à un simple individu d’endosser un rôle social, roi, juge ou guérisseur, ou de servir d’intermédiaire avec le surnaturel. Par exemple, une chape d’évêque sera chargée d’ornements évoquant, en plus de l’histoire sainte, des lumières dorées et des allusions paradisiaques. Ou bien une écharpe brodée de guérisseur lao sera rouge parce que le rouge est la couleur du sang, associé à la force vitale, à la puissance, à la santé, liaisons symboliques qui doivent être mobilisées dans le cadre du processus de guérison envisagé.

Certains motifs figuratifs permettront de se concilier les bonnes grâces des entités métaphysiques (ancêtres, esprits, anges, divinités…) ou de repousser celles qui seraient malfaisantes. De même, ils matérialiseront les présences impalpables pour le spectateur. Ces motifs diffèrent évidemment d’une culture à l’autre, de même que la nature de ces êtres et les possibilités de dialogue avec eux. Sur des bonnets d’Asie centrale, pour porter chance, ce seront plutôt des stylisations de cornes de bélier qui seront choisies : un signe propitiatoire lié à l’abondance de troupeaux, à la fertilité et à la plénitude vitale. Et les bonnets d’enfants du sud de la Chine seront ornés de représentations de créatures mythiques protectrices, capables de tenir à distance les forces mauvaises.

Les motifs abstraits sont, eux aussi, dotés de valorisations variables. Le cercle, le carré, le triangle et les figures plus complexes peuvent être associés à des notions, à des mythes, à des mondes plus ordonnés et plus signifiants que le nôtre, qui leur feront véhiculer des influences positives, des capacités à porter bonheur ou à repousser le mauvais œil.

Les grandes étapes de la vie, naissance, petite enfance, passage de l’adolescence à l’âge adulte via une initiation, mariage ou mort, se feront évidemment sous les auspices de ce code vestimentaire complexe. Et le motif qui ornera les linceuls pourra être le même que celui des naissances, pour évoquer une possible renaissance. Ou les trousseaux qu’a préparés pendant des années la mariée pourront mentionner des signes renvoyant à la prospérité, à la fécondité, aux liens indissolubles…

Les attributs du pouvoir dans les sociétés fonctionneront de la même façon. Les rois arboreront des motifs qui mentionnent leur domination, des symboles de totalité, de force et d’harmonie. Il en ira de même pour les maîtres et les gradés de sociétés secrètes qui serviront parfois de contre-pouvoirs. Quant aux guerriers ou autres membres de professions risquées, ils afficheront sur leurs casques et revêtements les signes de la puissance, de l’adresse ou de la longévité dans un rôle protecteur et stimulant. Les prêtres, devins, chamanes, sorciers, docteurs, guérisseurs et intermédiaires divers entre le sacré et le profane useront évidemment beaucoup de toute cette symbolique, à la fois comme signe ostensible de leur mission, vis-à-vis du public, et comme aide surnaturelle dans leur tâche, du côté irrationnel. On le voit, par exemple, avec cette veste de guérisseur sénégalais.

Un cas particulier est celui de l’usage des écritures à but magique, propitiatoire ou protecteur, dans la confection du vêtement talismanique. On en trouvera de très beaux et très singuliers exemples dans l’exposition, qu’il s’agisse de passages coraniques, pour l’aire musulmane, ou d’extraits de la littérature bouddhiste ou hindouiste, avec des pièces venues de Thaïlande.

Bref, le visiteur verra ici une immense variété d’évocations de puissances irrationnelles dans un registre intimiste, à des fins d’efficacité sur le monde ou de protection contre ses aspects les plus redoutables, et dans un registre ostentatoire, social, pour afficher un pouvoir et l’aligner sur celui d’êtres surhumains. C’est peut-être, malheureusement, parce qu’elle a lieu à Binche que cette exposition n’a pas eu tout le retentissement qu’elle mérite. Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, nul doute qu’elle eût attiré dix fois plus de curieux. Faites le déplacement, vous ne le regretterez pas !

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