Le Fort Saint Antoine, de la poudre à canon au fromage

© Texte et images Marc VINCENT  02-2024

Entrée du fort sous la neige

Après la défaite française de 1871 et la perte de l’Alsace-Lorraine, le gouvernement français décide la construction de forts. Ceux-ci défendront les frontières du Nord et de l’Est de la France. Les différents ouvrages, 166 forts, 43 petits et 254 batteries ont été construits de Calais à Nice. C’est dans ce cadre que le fort Saint-Antoine est édifié à quelques kilomètres du village éponyme. L’ouvrage est situé dans une forêt à 1082 mètres d’altitude dans le département du Doubs, non loin du lac de Saint-Point. De forme hexagonale, le fort est édifié en pierres et briques de 1879 à 1882. Le futur maréchal Joseph Joffre, alors capitaine du Génie, est responsable des chantiers dans le secteur de Pontarlier, dont Saint-Antoine. Celui-ci est imposant, 600 maçons, 600 tailleurs de pierre et 1000 hommes de troupe ont travaillé à sa construction. Le fort a été recouvert de terre et pierrailles sur une épaisseur de cinq mètres. En 1887 il prend le nom de Fort Lucotte (Edme Lucotte 1770-1825 Général de la Révolution et d’Empire). Une fois en service, 400 à 420 militaires y étaient affectés. Le fort, situé entre Pontarlier et la frontière suisse devait défendre l’itinéraire de Lausanne à la vallée du Doubs. Plusieurs canons de 120 mm en assuraient la défense ainsi que des canons-révolvers Hotchkiss de 57 millimètres. Un fossé sec entoure le fort et un pont-levis est placé devant l’entrée. A l’extérieur l’on peut voir les ruines des casernements extérieurs « de paix ».

Reconversion des espaces de casernement en stockage des meules. Panneau explicatif dans le fort Saint Antoine.

Avec le temps le fort tombe en désuétude. L’armée quitte les lieux et vend le fort en 1965 à la commune de Saint Antoine. L’année suivante l’édifice prend une nouvelle affectation, civile cette fois. Monsieur Marcel Petite loue le fort pour l’aménager afin d’y affiner les meules de fromage Comté AOP. Les conditions de garde sont impeccables : 8° et 95 % d’humidité en permanence. De 2008 à 2011 une nouvelle cave voûtée est construite, augmentant la capacité d’affinage de 40.000 unités. Les voûtes sont intéressantes, car elles favorisent la circulation d’air. Vingt fruitières alimentent le fort. Mais qu’est-ce qu’une fruitière ? La fruitière est un lieu où les éleveurs amènent leur lait. Celui-ci y est transformé en fromage. Après quelques jours, les meules fraîches sont transportées au fort pour l’affinage. Celui-ci peut durer de 6 à 18 mois. Durant la période d’affinage, à intervalles réguliers, le trieur-gouteur tape avec un petit marteau pour évaluer la résonnance d’une meule. Ensuite, avec une petite tarière, il extrait une carotte et goûte la meule. C’est lui qui décidera quelle meule sera vendue jeune, minimum 4 mois, ou plus âgée. Les meules pèsent environ 40 kg, elles sont régulièrement brossées et retournées par un appareil spécial. En 2022 un Comté de 40 mois a été primé. A présent, c’est le petit-fils de Marcel Petite qui est à la tête de l’entreprise gérant l’affinage de 100.000 meules de Comté.

La poudrière, croquis d’ensemble, un stockage de 38 tonnes de poudre y était réalisé.

Reconversion de la poudrière en lieu d’affinage.

A 60 kilomètres, au sud-ouest dans le département du Jura, se situe le Fort des Rousses. Celui-ci pouvait abriter 3500 militaires et a été démilitarisé en 1995. Ensuite il a été racheté par Jean-Charles Arnaud et l’a reconverti à partir de 1997/1998 à l’affinage du Comté. Jean-Charles Arnaud y avait effectué son service militaire et y avait trouvé un lieu idéal à l’affinage des meules de Comté. Son grand-père avait créé une fromagerie en 1907 à Poligny, dans le département du Jura.

 

Rayonnages d’affinage, le bois employé est de l’épicéa. Nous voyons la machine retournant et brossant les meules.

Sur les Comté mis en vente, une bande de couleur est apposée sur la circonférence. Une bande à lettres et cloches vertes signifie que le fromage a reçu une note de 14 à 20 (20 étant la cote maximum). Une bande à lettres brunes signifie une note de 12 à 14. Toute une série de critères définissent l’attribution de la cote. Les meules ayant eu une note inférieure à 12 ne reçoivent pas l’appellation Comté et seront destinés, notamment, à la fabrication de fromage fondu genre « Vache qui Rit ». Le Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté (CIGC) a établi un cahier de charge et en vérifie son application pour la protection et la réputation du Comté.

Après la défense du territoire, les forts ont la mission de défense du patrimoine gustatif.

Bandes de couleurs.
© GIGC

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