Expos Asie Centrale à Paris

Cet hiver, deux expositions importantes traitant de l’Asie centrale sont à voir à Paris : Afghanistan au musée Guimet (jusqu’au 6 février 2023) et Ouzbékistan au Louvre (jusqu’au 6 mars 2023).

1. L’Afghanistan à Guimet

Pendant très longtemps, avant que ne s’ouvrent des routes maritimes au long cours, l’Asie centrale a été le principal point de contact entre la Chine et le monde méditerranéen ou l’Inde. En marge des déferlements d’armées, la région a vu s’établir au fil des siècles, vers le début de notre ère, de fructueuses voies commerciales. Et les constructions culturelles qui y sont nées ont parfois changé la face de la planète.

La culture indienne, par exemple, dans sa forme bouddhiste, très liée jusque-là à son terroir, a élaboré sur ces confins montagneux ou semi-désertiques une version aisément exportable de ses doctrines, qui s’est ensuite diffusée jusqu’au Japon en suivant les routes caravanières contournant le massif du Tibet. Le Bouddha avait, en effet, interdit qu’on le représente personnellement, et l’interdiction a perduré pendant plusieurs siècles. Mais quand le bouddhisme a été en contact avec les traditions plastiques et la propagande sculptée des royaumes indo-grecs issus des conquêtes d’Alexandre le Grand, le besoin d’une iconographie plus performante est devenu plus pressant. L’outil qui a été alors mis au point s’est avéré un formidable moyen d’enseignement populaire et de propagation de sa pensée et de ses mythes.

C’est au nord de l’actuel Pakistan (dans l’ancien Gandhara), peu avant le tournant de notre ère, puis dans le territoire qui est aujourd’hui l’Afghanistan, qu’est née cette extraordinaire synthèse et qu’elle s’est perfectionnée. Et dans ce vaste creuset d’influences disparates, la doctrine bouddhiste même a évolué de façon très créative vers la version dite « mahayana », relativement différente de l’austère enseignement indien primitif.

Les lieux de naissance de ces bouleversements culturels ont été longtemps oubliés, ensevelis par le passage du temps et des armées. Il a fallu attendre la fin du 19e siècle et le début du 20e pour que leur importance redevienne évidente, et que la région soit l’objet d’une attention soutenue des archéologues. Dans ce cadre, la Délégation archéologique française en Afghanistan a largement contribué aux fouilles. La présente exposition retrace un siècle de cette collaboration.

On savait les vitrines du musée Guimet particulièrement riches et attractives concernant ce domaine mais cette exposition révèle que, sans quasiment les dégarnir, l’institution possède encore dans ses réserves de quoi éblouir et faire rêver le visiteur. Il s’agit parfois ici de grande statuaire mais surtout de pièces plus intimistes : parements d’autels ou décorations de stupas. L’imaginaire religieux hérité de l’Inde s’y déploie pleinement, mêlé à la sensualité de l’art hellénique, ainsi qu’à une certaine pompe héritée de la propagande impériale romaine. Au fil du parcours, on peut observer dans une forme encore très souple et très inventive ces figures qui ne tarderont pas à devenir classiques et qui traverseront ensuite sans changement fondamental les siècles et les frontières.

L’exposition à Guimet se poursuit par une section consacrée aux produits d’importation trouvés en Afghanistan. Le trésor de Begram, datant du premier ou du deuxième siècle, en est le centre, avec ses objets chinois, ses luxueuses verreries importées d’Alexandrie d’Égypte, et son célèbre ensemble d’ivoires indiens aux voluptueux dieux, déesses, apsaras et gandharvas encadrés de rinceaux peuplés des bêtes mythologiques les plus diverses. L’ensemble témoigne surtout du cosmopolitisme et de l’immense prospérité de la région aux alentours du début de notre ère.

Vient ensuite une section islamique, domaine que les aléas de l’histoire des cent dernières années ont moins permis à l’école française d’approfondir. À un autre étage du musée, le visiteur pourra également voir une belle présentation de créations textiles traditionnelles et contemporaines réalisées par des artistes et des artisanes afghanes. Une mise en valeur qui n’est pas superflue à l’heure où le retour des intégristes au pouvoir met gravement en péril le statut et la liberté de la femme dans la société.

Soit dit en passant, la pratique de partager les trouvailles des fouilles archéologiques entre les musées afghans et les institutions occidentales qui finançaient les recherches, pour discutable qu’elle puisse être dans l’absolu, s’est avérée, dans ce cas-ci, providentielle. Une partie des objets a ainsi pu être protégée des pillages et des destructions programmées par les talibans et autres fondamentalistes, qui se sont attaqué avec un bel esprit de système aux collections archéologiques des musées afghans ainsi qu’aux monuments et aux sites pré-islamiques. Leurs saccages ont été d’autant plus faciles à mettre en œuvre que, contrairement à la statuaire grecque et romaine, en bronze ou en marbre, beaucoup des réalisations antiques de la région avaient été réalisées dans des matériaux souples à travailler mais fragiles, comme l’argile non cuite ou le stuc. Une série de photos vient documenter ces exploits en clôture de l’expo.

2. Trésors d’Ouzbékistan au Louvre

L’exposition du Louvre est moins vaste que celle dont nous venons de parler, mais elle est également fascinante, et les deux se complètent. On peut voir ici des pièces rares venues des oasis d’Asie centrale, dans l’actuel Ouzbékistan, qui constituaient des étapes obligatoires sur les routes commerciales contournant le plateau himalayen par le nord.

On y trouve, naturellement, des pièces bouddhistes qui témoignent de la propagation vers le nord-est des images créées au Gandhara puis répandues par l’empire kouchan. On peut constater à cette occasion comment, en se diffusant, la synthèse d’origine, assez expérimentale, perd peu à peu de sa souplesse, de son invention pour devenir à son tour un code contraignant, avec ses conventions scolaires et ses formules dogmatiques, tendance qui ira en s’accentuant à mesure que passeront les siècles et que s’éloignera le milieu qui lui a donné naissance.

Ceux qui ont eu la chance de visiter l’Ouzbékistan seront agréablement surpris de pouvoir contempler ici des œuvres que l’on croise difficilement sur place, parce qu’elle restent dans des réserves ou parce qu’elles ont été prêtées au Louvre par des institutions beaucoup plus confidentielles et moins accessibles que le musée national de Tachkent.

À côté des pièces qui témoignent de la vitalité de la prédication bouddhiste, on en trouve d’autres, tout aussi intéressantes, provenant de la culture régionale pré-islamique, à une époque où les autorités étaient de plus en plus souvent d’origine mongole mais se révélaient ouvertes aux influences culturelles provenant des populations locales ou des échanges commerciaux. C’est un peu du parfum d’un monde cosmopolite oublié qui nous est proposé avec les œuvres montrées, elles aussi particulièrement fragiles, faites de stuc ou d’argile non cuite.

Il est à cet égard remarquable qu’ait été déplacée la fresque à l’éléphant qui sert d’affiche, réalisée sur un support extrêmement friable. Un peu comme les fresques de la salle des ambassadeurs, qu’on peut voir dans le musée de la ville ruinée d’Afrasiab, juste à côté de Samarcande, cette peinture murale témoigne du luxe, du goût pour la couleur, d’une certaine sensualité et de l’ouverture d’esprit de ceux qui régnaient sur ces riches métropoles commerçantes peu avant les bouleversements islamiques.

La section islamique témoigne joliment, à son tour, du mélange d’influences s’exerçant sur ces territoires très excentrés par rapport aux cœurs des empires. On voit qu’ici aussi, comme dans le cas du bouddhisme, l’interdiction stricte des images voulue par le fondateur a fini par être contournée. Sous l’influence de la Perse et, dans une moindre mesure, de l’Inde, l’habitude d’illustrer les manuscrits de luxe avec des miniatures a été adoptée. On sait, dans le même ordre d’idée, que les conquérants et bâtisseurs mongols et turcs à Samarcande et à Boukhara ont fait orner les façades de leurs plus prestigieuses mosquées d’animaux emblématiques, phénix ou tigres portant le soleil, qui auraient beaucoup étonné sur des édifices religieux dans la lointaine Arabie.

Au fil de ces deux expositions, on découvre au passage les joies et les périls du cosmopolitisme. Si l’on en croit l’exemple du bouddhisme évoluant en marge des centres indiens, à la porte de l’Asie centrale, le résultat du contact entre cultures très étrangères ne débouche pas obligatoirement sur un abâtardissement des doctrines. Si elle est bien conduite, par des milieux à la fois créatifs et tolérants, la recherche d’une synthèse peut parfois mener à un élargissement des horizons mentaux. Et cette évolution de certitudes devenues figées, locales et étriquées, peut même ouvrir la porte à un nouveau dynamisme, à une diffusion inespérée (et pacifique) de l’essentiel des messages d’origine sous des formes rénovées.

Texte et images D. LYSSE © 01-2023

Infos :
– Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan au Louvre : www.louvre.fr
– Afghanistan – Pakistan : www.guimet.fr

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Musées à volonté

Le prix d’entrée dans un musée, dans une exposition ou dans une institution culturelle vous a-t-il parfois dissuadé de pousser la porte ? Pour ceux qui ne disposent pas de carte de presse (ou pour les lieux où celle-ci n’est pas acceptée), pensez alors au PassMusées ou MuseumPass : (https://www.museumpassmusees.be/fr/offre)

Pour 59 euros, un peu plus d’un euro par semaine, vous aurez le libre accès pendant un an dans presque tous les grands musées du pays et dans des centaines d’institutions moins connues. Seuls les lieux gérés par des fabriques d’église font exception : impossible d’accéder à l’Agneau mystique, à Gand, ou au trésor de la cathédrale de Tournai (quand il est ouvert…) avec cette carte. Mais l’ensemble de l’offre reste si vaste et si diversifié que vous n’arriverez pas au bout des visites en un an ni en cinq, même en y apportant une énergie maniaque.

Un des avantages de cette carte est que le nombre de visites dans un même endroit n’est pas limité. On peut donc explorer les grands musées près de chez soi par petites sections, sans devoir parcourir tous les couloirs très vite, en une fois, jusqu’à saturation. Ce libre accès permet également d’entrer jeter un coup d’œil dans des musées plus petits ou un peu singuliers, que l’on côtoie parfois depuis des années sans avoir jamais su ce qu’ils contenaient. On peut alors y passer quelques minutes, le temps de satisfaire superficiellement sa curiosité, ou y rester beaucoup plus longtemps si des affinités imprévues avec les collections apparaissent.

Ci-dessous, on trouvera trois exemples de ces musées de taille réduite dont la silhouette fait partie du paysage urbain mais qu’on connaît trop peu, auxquels le PassMusées donne le libre accès.

1° la Porte de Hal, à Bruxelles

Bien qu’il ait été rénové, on dit le lieu menacé de fermeture prochaine, faute de budget et de personnel. C’est donc le moment de s’y rendre, avant qu’il soit trop tard. Le musée de la Porte de Hal se prête pourtant bien à une sortie pas trop longue mêlant culture et délassement. Encore plus s’il y a des enfants ! Tout est là pour les faire rêver : le bâtiment à l’aspect redoutable, l’interminable escalier en vis, et, tout en haut, le chemin de ronde à créneaux d’où l’on découvre le panorama sur le sud-est de la ville. Pour titiller la curiosité et faire songer à des voyages dans le temps, des gadgets ingénieux ont été ajoutés là-haut, des sortes de longue-vue qui permettent de voir le paysage environnant, animé, tel qu’il était à l’époque de Brueghel. L’expérience en dit long sur la croissance démographique et l’urbanisation intensive des derniers siècles.

Les objets exposés dans le bâtiment sont tous plus ou moins liés à la défense de la ville et à la sécurité urbaine. La mainmise seigneuriale sur l’armée et sur les ouvrages militaires est évoquée au premier étage, dans la grande salle gothique, avec, en plus du matériel de prestige auquel on peut s’attendre, des pièces qui sortent de l’ordinaire : l’armure d’apparat ainsi que les chevaux empaillés et équipés qui ont servi pour la joyeuse entrée des archiducs Albert et Isabelle venus occuper leur poste de gouverneur à la fin du XVIe siècle, par exemple. Ou, plus intime, le berceau de Philippe le Beau, le père de Charles Quint.

Le deuxième étage est consacré au contre-pouvoir des guildes et corporations bourgeoises, qui ont pris une part toujours plus active dans la défense et la politique de la cité. Cette montée en puissance des marchands et artisans au fil des siècles dans les affaires publiques est montrée ici à l’aide des accessoires luxueux qui étaient les emblèmes de leurs compagnies, de leurs chefs et de leurs champions lors des défilés, concours et autres ommegangs. On remarquera, entre autres, les colliers et les décorations accordées aux plus adroits lors des concours couronnant les entraînements au tir nécessaires à la constitution de milices.

Il n’y a pas des milliers d’objets mais tout y est de qualité, bien choisi, bien présenté, bien éclairé. Et une exposition temporaire complète les collections. Actuellement, elle montre des petits théâtres en papier, qui permettaient jadis de reconstituer et rejouer à domicile contes et pièces à la mode.

 

 

2° le Trinkhall Museum, à Liège

© Ville de Liège – Urbanisme, Jean-Pierre Ers

Un autre de ces lieux emblématiques que les passants et riverains connaissent de vue sans y être obligatoirement entrés est le Trinkhall Museum, à Liège. Il se trouve dans un bâtiment à l’aspect futuriste posé dans le parc d’Avroy, à Liège, près de la gare et d’un des grands boulevards de la ville.

Il présente des œuvres de cet art dit « brut », œuvres créées par des psychotiques, des artistes souffrant de handicaps mentaux et par d’autres personnalités fragiles que l’on classe généralement en marge de la société. Poussez la porte des lieux sans a priori, sans vous attarder devant les étiquettes et les classements, sans chercher à savoir si tel dessin provient d’un artiste authentiquement « brut » ou d’un peintre plus ou moins reconnu et professionnel venu confronter son travail aux artistes des ateliers protégés. Le jeu est ici de se rendre aussi disponible que possible à l’inconnu, à la surprise.

L’art contemporain professionnel nous a de toute façon habitués à tous les excès, aux bizarreries, aux montages minimalistes ou à la quasi-vacuité des espaces et des contenus. En comparaison, ce qui est montré ici peut se révéler immensément plus touchant, plus direct, plus véridique, dans le sens où il ne s’agit souvent pas d’objets fabriqués pour un marché mais de créations venues du plus profond de l’être et accouchées tant bien que mal, au gré de l’habileté ou du savoir-faire de chacun.

Certaines techniques s’avèrent particulièrement adaptées à la situation des auteurs, comme la gravure sur lino, par exemple, qui combine une phase entièrement spontanée au moment de la création de la matrice originelle en linoléum avec une autre phase très technique, très maîtrisée, souvent effectuée par un assistant, au moment du tirage. Ces deux étapes distinctes permettent de donner au résultat un bel équilibre entre un côté formellement impeccable et un autre plus improvisé, vécu.

L’accrochage actuel du musée, agréablement varié, est par ailleurs d’une qualité remarquable. Chaque œuvre y est à la fois une proposition insolite et une réussite plastique. On ne peut que recommander la visite qui en surprendra plus d’un.

3° l’Hôtel de ville d’Audenarde

La célèbre silhouette de l’hôtel de ville d’Audenarde domine le paysage du centre urbain, particulièrement radieuse quand viennent l’illuminer les premiers rayons du soleil. Mais ici aussi, les murs cachent un musée attachant, à taille humaine, qui ne demande pas une visite tournant au marathon.

Comme plusieurs autres endroits de la région, Audenarde a connu pendant un moment, au 16e siècle, une industrie du luxe assez prospère, centrée sur la tapisserie. Ce centre de production, de même que ceux d’Enghien et Grammont, s’était spécialisé dans des tapisseries ornées de scènes de genre ou de scènes mythologiques un peu conventionnelles entourées de somptueuses bordures montrant des fleurs, des fruits, de menus animaux et de la végétation en tout genre.

Cette verdure, qui faisait l’image de marque et la réputation des ateliers, finissait parfois par envahir tout le champ de l’image. Dans quelques cas, pour varier l’offre, on choisissait comme sujets des scènes très étranges montrant des animaux fantastiques que ne désavoueraient pas les créateurs de jeux vidéo contemporains. Le visiteur se promène donc (dans une faible lumière pour protéger les couleurs très fragiles) parmi des représentations d’une nature exubérante, où des salades et des chardons géants peuvent abriter des daims et des perroquets, et où des guirlandes de fleurs et de fruits gigantesques peuvent être portées ou escaladées par de minuscules personnages.

Le parcours est complété, à d’autres étages et sous des combles impressionnants, par une collection de peintures et d’argenterie et par une présentation de la région des « Ardennes flamandes ».

 

 

Conclusion

Il ne s’agit là que de trois propositions mais il en existe des centaines d’autres sur la carte interactive du site du PassMusées. Pour une sortie hivernale, près ou loin de chez soi, avec des enfants ou entre adultes, dans le domaine des arts ou dans celui des sciences, qu’on penche plutôt pour les iguanodons de Bernissart, pour l’aquarium de Liège, pour le musée en plein air de Bokrijk ou pour les miniatures de la bibliothèque des ducs de Bourgogne, on trouvera toujours dans ce vaste catalogue quelque chose d’intéressant ou d’imprévu.

Et puisque les fêtes sont à nos portes au moment où cet article est rédigé, pourquoi ne pas envisager d’offrir la carte en cadeau ?

Texte et images D. LYSSE © 11-2022
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Randonnées pour l’automne par le train

L’automne est une saison très agréable pour la randonnée… à condition qu’il fasse sec. Parmi les itinéraires accessibles en train, au départ comme à l’arrivée, voici trois propositions qui, cette fois encore, longent des rivières ou d’anciens canaux, loin de la circulation automobile : la Dendre de Grammont à Ath ; l’ancien canal du Centre depuis La Louvière jusqu’à Mons ; et le canal joignant Malines à Louvain.

1° La Dendre de Grammont à Ath, 22 km

C’est l’un des itinéraires les plus agréables qu’on puisse choisir pour ces promenades d’une journée. Le cours de la rivière est resté très sinueux, très peu rectifié. Il offre des vues perpétuellement changeantes, et le paysage le long des berges est assez préservé. À l’automne, lorsque la brume s’élève du cours d’eau ou transpire des champs, les levers de soleil à contre-jour sont assez féeriques. Ce qui justifie, d’ailleurs de partir de Grammont et de marcher dans le sens nord-sud plutôt que dans l’autre, en partant d’Ath.

La faune est aussi très variée, pas trop nerveuse, et se laisse observer, du moins avant le début de la chasse. Pour ceux qui disposent d’un bon matériel de photo, c’est l’endroit idéal pour immortaliser des biches, des chevreuils, des faisans, des hérons, des cormorans, d’innombrables poules d’eau et canards. Même ceux qui, comme moi, n’utilisent qu’un petit appareil de poche vont se sentir doués pour les clichés animaliers. Le vrai défi, pour les photographes les plus adroits, c’est de capter une trace des furtifs martin-pêcheurs, qu’on reconnaît en vol à leurs ailes d’un bleu éblouissant mais qui ne s’attardent jamais à la vue.

À peu près à mi-parcours, sans quitter les bords de la rivière, à Lessines, le promeneur aura le plaisir de longer les beaux bâtiments de l’ancien hôpital Notre-Dame à la Rose. La visite du musée, consacré à la vie religieuse et médicale du passé, peut s’avérer assez difficile pour des marcheurs qui veulent continuer ensuite leur balade pendant une douzaine de kilomètres : il n’ouvre qu’à 14 heures, ce qui obligerait à terminer la promenade assez tard, et le prix d’entrée peut décourager. Cela n’empêche pas de contempler le bâtiment de l’extérieur, et de voir notamment le très riche jardin des plantes médicinales, en accès libre, de l’autre côté de l’édifice.

L’arrivée à Ath permet de traverser la ville pour rejoindre la gare et de jeter un coup d’œil au passage à une curieuse, très archaïque (et très restaurée) forteresse des comtes de Hainaut, transformée en maison de la culture.

2° L’ancien canal du Centre, de La Louvière à Mons (23 km)

Rejoindre l’ancien canal du Centre depuis l’arrière de la gare de La Louvière oblige à longer un moment une grand-route sans charme mais, à peine sur le chemin de halage, le décor change. En effet, cette voie d’eau est désaffectée depuis qu’a été creusé le canal à grand gabarit qui la double, à peu de distance, et le promeneur circule à travers des paysages redevenus très paisibles, bordés régulièrement de petites maisons ouvrières en briques sous de grands arbres

Pendant les douze ou treize kilomètres qui suivent, nous sommes conviés ici à de l’archéologie industrielle. Les ouvrages d’art qui parsèment le trajet étaient à la pointe du progrès, à la fin du 19e siècle : ponts-levis métalliques à balancier pour les routes étroites, ponts tournant pour les chaussées plus importantes et, surtout, plusieurs ascenseurs à bateaux qui permettaient de corriger des dénivellations impressionnantes.

Le rythme de la marche est ici très bien adapté et permet de découvrir ces architectures lentement, sous divers angles et éclairages. Si la porte est ouverte (elle l’était lors de mon passage), cela vaut la peine d’aller jeter un coup d’œil à une partie de la machinerie de l’ascenseur numéro trois, à Bracquegnies. On y voit d’énormes engins arborant fièrement les noms d’industries qui ont fait de notre pays un des plus riches du monde, au dix-neuvième siècle, et qui sont aujourd’hui disparues (ou qui sont devenues périphériques dans de vastes conglomérats transnationaux).

Un peu plus loin, sur le nouveau canal, c’est le nouvel ascenseur à bateau de Strépy-Bracquegnies qui impressionne en dominant de sa masse énorme tout un morceau de village : récemment construit, il remplace à lui seul tous ceux qu’on a croisés jusqu’ici, et permet le transit de péniches aux tonnages autrement plus imposants. Les derniers pont-levis et machineries anciennes, avec leurs dentelles de fer, semblent des jouets en comparaison, des objets pittoresques.

Les deux dernières heures du trajet, quand on quitte l’ancienne voie d’eau pour longer le large canal moderne sont d’un intérêt plus réduit, en comparaison. Et comme on arrive à Mons par le plan d’eau dit « le Grand Large », qui se trouve du côté de la gare, il est difficile de se motiver encore pour aller faire un tour sur la grand-place ou pour monter au parc du beffroi : après 23 bornes, rares sont ceux qui se sentiront le pied suffisamment léger, on pense plutôt à reprendre un train pour rentrer à la maison.

3° Le canal Malines-Louvain (26 km)

Très facile d’accès depuis la gare de Malines, qui se trouve quasiment au bord de la voie d’eau, ce canal, largement désaffecté et donc très tranquille, lui aussi, est plus récent que le précédent. Il traverse par ailleurs des régions qui sont plus densément peuplées et plus industrieuses. L’ensemble du trajet en est moins pittoresque, et l’aspect sportif est à envisager d’abord, dans ce cas : on peut circuler d’un bon pas, sans risquer de se perdre, tout en restant à une certaine distance de l’urbanisation galopante et du trafic automobile (dont le bruit ne s’arrête pourtant jamais complètement).

Les sportifs du coin ne s’y trompent d’ailleurs pas et le chemin de halage est assez fréquenté, par des promeneurs de chiens, qui font quelques kilomètres, par des cyclistes, individuels ou en vastes clubs, qui passent parfois à grande vitesse, et aussi par des pêcheurs qui viennent à vélo ou à motocyclette installer tout un campement pour la journée.

Il est important ici de prendre avant le départ quelques clichés de l’itinéraire sur « https://www.vlaanderen-fietsland.be/nl/routeplanner » ou, au moins, sur place, de regarder attentivement les indications pour les randonneurs et les vélos. En effet, dans la deuxième moitié du parcours, vers Louvain, une seule des deux rives est aménagée d’un bout à l’autre pour les promeneurs, l’autre est interrompue par des installations industrielles qui forcent à un contournement long et peu pratique. Il importe aussi d’avoir agrandi le plan de l’arrivée à Louvain. Il n’est pas évident, en effet, de rejoindre la gare au plus court depuis le canal, et les trois derniers kilomètres ne sont pas les plus agréables, dans un environnement urbain de ponts routiers et ferroviaires, et de voies d’accès rapides pour les voitures.

Bonne(s) promenade(s) !

Texte et images D. LYSSE © 10-2022
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Train et rando : la Sambre, de Namur à la frontière française

Parmi les itinéraires de randonnées accessibles en train, au départ comme à l’arrivée, il faut évidemment signaler beaucoup de routes, cyclables et pédestres, qui longent les voies d’eau navigables. Elles sont souvent reprises dans les propositions des GR, ainsi que dans les « fietsroute », en Flandre (https://www.vlaanderen-fietsland.be/nl/routeplanner), ou, en Wallonie, dans le réseau RAVEL qui suit souvent les anciens chemins de halage, le long des cours d’eau, et les voies de chemin de fer désaffectées (https://ravel.wallonie.be/home/carte-interactive.html).

Je propose, dans les paragraphes qui suivent, de remonter la Sambre à pied, par étapes de 20 à 25 kilomètres, depuis son confluent avec la Meuse, à Namur, jusqu’à Erquelinnes, à la frontière française.

1° Namur – Jemeppe-sur-Sambre

La première étape, entre Namur et Jemeppe-sur-Sambre, ne manque pas d’intérêt, même si l’eau de la rivière n’y est plus vraiment limpide et si la canalisation à grand gabarit ne laisse pas place à beaucoup de fantaisie. Sur le trajet, on ne manquera pas de jeter un coup d’œil à l’ancienne abbaye de Floreffe, devenue une école supérieure.

Si on a de la chance, on pourra en visiter l’église. Les stalles y sont vraiment remarquables, résultat d’un travail extrêmement minutieux et laborieux (tous les délais de commande et les budgets avaient été, à l’époque, largement dépassés). On y remarquera à la fois la belle ordonnance classique des saints et des prophètes dans leurs niches, et puis la prolifération des grotesques dans les zones moins officielles, miséricordes ou supports de statues, qui ne pourront manquer de retenir l’attention de ceux que les représentations plus officielles laissent indifférents.

C’est éventuellement l’occasion de goûter la bière locale, servie en bas de l’abbaye, en se rappelant qu’il reste pas mal de kilomètres à parcourir. En fin de trajet, la gare de Jemeppe est malheureusement d’un accès difficile depuis le chemin de halage, quand on arrive depuis Namur, obligeant à de longs détours ou à des passages par des raccourcis pas très officiels.

2° Jemeppe – Charleroi (ou Marchienne-au-Pont)

La suite du trajet, de Jemeppe-sur-Sambre vers Charleroi puis Marchienne-au-Pont, est d’un intérêt plus restreint pour les amateurs de verdure et d’environnements naturels : on traverse ici des paysages industriels en pleine reconversion. Ceux que passionne ce genre d’expérience urbaine pourront alors essayer la section du GR 412 dite « boucle noire »: un parcours d’une journée complète dans les faubourgs industriels de Charleroi, entre terrils, canal et usines (voir : « https://grsentiers.org/ », en cliquant vers le bas de la colonne de droite pour trouver la carte interactive et agrandir sur la zone Charleroi).

3° Landelies – Thuin

Pour ceux qui seraient plutôt épris de nature, on ne peut que recommander de sauter l’étape la plus urbaine et d’emprunter plutôt, depuis Charleroi, la ligne SNCB 130a, en direction d’Erquelinnes, pour descendre au deuxième arrêt, à Landelies. Ils pourront suivre ensuite dans la verdure le cours de la Sambre vers le sud. C’est la promenade classique des habitants du coin, les samedi et dimanche après-midi.

On ne manquera pas, sur le chemin, de s’arrêter à l’abbaye d’Aulne, mise à sac par les armées révolutionnaires françaises. Même si l’entrée du site reste assez confidentielle et semble plutôt mener à des salles de réception privées, les ruines s’en visitent librement. Ce serait dommage de ne pas faire le détour depuis la voie d’eau, quelques kilomètres après Landelies : il y a un côté immensément romantique aux vues de la végétation prenant d’assaut des chevets gothiques aux verrières finement nervurées.

En fin de journée, on pourra reprendre le train dans l’autre sens à Thuin, tout en n’oubliant pas de faire un petit tour en ville. Thuin vaut surtout pour son site, avec un relief aigu couronné de remparts ou de hautes constructions remplissant une fonction défensive. Elle est surmontée par un beffroi qu’on voit de loin à la ronde, en haut duquel on peut monter (conditions voir office de tourisme).

4° Thuin- Erquelinnes

En quittant Thuin, le long de la Sambre, sur la rive droite en direction de la frontière, après trois ou quatre kilomètres, on peut prendre un sentier qui mène jusqu’à Lobbes, où se trouve la plus ancienne église de Belgique. L’abbaye de Lobbes fut longtemps un des centres de la vie intellectuelle jusque très loin à la ronde, avant d’être déclassée par la montée de la culture urbaine puis d’être emportée et détruite par la tourmente révolutionnaire. L’église, dans son état actuel, date en grande partie de l’époque romane et présente encore un plan très archaïque, à deux niveaux, avec un chœur surélevé surplombant une crypte remontant plus ou moins à l’an mille.

Au-delà, même si la Sambre reste sommairement canalisée, le paysage devient exclusivement champêtre, vert. C’est la plus belle section du trajet, qui évoque des visions de paix et d’harmonie chez le promeneur venu de la ville (et sans doute moins chez les fermiers qui travaillent dans les champs et les grosses fermes qui s’égrènent au fil des kilomètres). Après avoir traversé quelques très beaux villages, on trouvera la gare d’Erquelinnes presque en bord de rivière.

5° Thuin – Berzée

Depuis Thuin, une offre de promenade supplémentaire consiste à rejoindre, en une vingtaine de kilomètres, par le RAVEL, la gare de Berzée, située sur la ligne Charleroi-Couvin. (Attention, un train toutes les deux heures sur cette ligne, le week-end. Il peut alors être prudent de faire le trajet dans le sens Berzée-Thuin : en marchant, on est maître de son heure de départ plus que de son heure d’arrivée ! Et des travaux sont prévus par Infrabel fin août.)

Après quelques kilomètres, à Biesme-sous-Thuin, bien avant de franchir par un tunnel la grand-route vers Beaumont, on jettera un coup d’œil à un moulin qui a gardé un certain charme. De l’autre côté de la route nationale, la traversée de Thuillies n’est pas bien passionnante mais les derniers kilomètres, du côté de Berzée, offrent des vues sur de larges paysages champêtres dont l’aspect varie au cours des heures et des saisons. Et l’arrivée sur l’énorme ferme-château et sur l’église gothique de Berzée impressionnent agréablement, après ces vastes étendues désertes.

Bonnes promenades !

Texte et images D. LYSSE © 08-2022
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Quatre randonnées accessibles par le train : de Ham-sur-Heure à Couvin

Pas besoin d’aller jusque dans les Alpes ou dans le Massif Central pour faire de la randonnée : quand le temps est ensoleillé, notre petit pays offre des promenades nombreuses et variées. Les sentiers de grande randonnée et les itinéraires balisés genre Ravel permettent d’y découvrir des paysages et des lieux peu connus, mais il n’est pas toujours facile de les emprunter sur des distances un peu ambitieuses, faute d’arriver à rentrer chez soi à la fin du trajet. Parfois, si on a de la chance, une ligne de train recoupe le chemin à intervalles réguliers et on peut alors débarquer le matin à pied d’œuvre et/ou revenir le soir sans difficulté.

C’est le cas, par exemple, de la ligne 132 de la SNCB, qui relie Charleroi à Couvin et recoupe régulièrement le GR12 Amsterdam-Paris. Je propose d’en examiner de plus près quatre étapes de vingt à vingt-cinq kilomètres, entre Ham-sur-Heure et les environs de Couvin, qui peuvent se faire en quatre jours successifs ou, plus aisément, une à la fois, de temps en temps, au hasard de la météo et des loisirs disponibles.

Elles font traverser des paysages paisibles, généralement peu fréquentés, vallonnés, entre champs et forêts, avec régulièrement des curiosités naturelles ou culturelles : châteaux, fermes-châteaux, églises classées, réserves naturelles… (On peut consulter les horaires du train sur le site de la SNCB « https://www.belgiantrain.be/fr », et la carte interactive des GR à l’adresse : « https://qgiscloud.com/grsentiers/Reseau_GR_wallon/ ».)

1. De Ham-sur-Heure à Walcourt

Propriété de la famille de Mérode depuis le XVe siècle, le château de Ham-sur-Heure mérite un petit détour, depuis la gare, avant de se mettre en route : devenu maison communale, c’est le plus accessible de tous ceux des environs. On y circule librement dans les jardins et, en demandant à l’accueil, on peut voir, à l’intérieur, en haut du grand escalier, quelques vitrines retraçant l’histoire, parfois tragique, de ses derniers propriétaires.

Plus loin, grimpant et redescendant aux flancs de la vallée de l’Eau d’Heure, le chemin balisé propose de larges trajets en forêt puis dans les champs. Il traverse les villages de Berzée puis de Thy-le-Château, dominés par d’énormes fermes-châteaux et nantis d’églises historiques, mais aussi des hameaux plus discrets, isolés dans la verdure, comme Pry. À Thy-le-Château, il y a moyen de se restaurer ou de boire un verre. Ailleurs, il est plus prudent d’avoir emmené du pique-nique. La gare de Walcourt, à l’arrivée, se trouve un peu avant le village.

2. De Walcourt à Philippeville

La basilique de Walcourt mérite une visite approfondie. Le jubé, qu’on dit avoir été offert par Charles Quint, n’a pas été démonté, contrairement à beaucoup d’autres, et propose encore toute sa riche ornementation au passant. Quant aux stalles, elles sont ornées de motifs grotesques absolument réjouissants. L’église abrite également un trésor: une grande croix réalisée au Moyen Âge par l’orfèvre Hugo d’Oignies, qui était un cadet de la famille de Walcourt (voir à son propos, sur ce site, l’article « https://www.ajpbe-vbbjpp.eu/blog/2020/07/02/le-tresor-doignies-temoin-de-trois-vies-hors-du-commun/»).

Malheureusement, comme beaucoup des œuvres d’art qui sont propriétés de fabriques d’église en Wallonie, elle n’est visible que par intermittences, lors d’une visite organisée ou au hasard de la présence d’un sacristain dans les lieux, et de sa disponibilité.

Le trajet s’engage ensuite dans des terrains cultivés ou des prairies, empruntant parfois des chemins creux, encaissés et ombragés, et laissant aussi découvrir de vastes étendues silencieuses. Jusqu’à Yves-Gomezée, il est particulièrement agréable. Un peu moins pour les sept ou huit derniers kilomètres, après avoir traversé la nationale 5, où le cheminement sur un plateau très uniforme, le long d’une carrière puis entre des monocultures parfaitement planes, s’avère plutôt monotone.

3. De Philippeville à Mariembourg

Dès qu’on quitte Philippeville par le sud, peu après la gare, le paysage retrouve tout son charme.  Pas de monuments historiques, ici, mais des vues toujours nouvelles sur une campagne restée très variée, semée de petites agglomérations en pierre et de grosses fermes, par des chemins larges et des routes tranquilles où ne passent que peu de véhicules. Le tout petit village de Roly se détache particulièrement, avec sa ferme-château, son vieux lavoir en pierre et sa petite place bordée d’arbres.

C’est l’endroit où prendre des photos de nature, éperviers posés au faîte des arbres, grenouilles, papillons et petites fleurs en tous genres. De Roly à Fagnolle, le GR fait de longs détours pour s’écarter de la route goudronnée et passer par les endroits les plus notables du coin. Mais la circulation est très éparse et peu gênante sur cette route – des travaux, fin juillet 2022, bloquaient carrément tout le trafic. Cela vaut donc la peine, pour ceux qui veulent gagner quelques kilomètres, d’envisager de suivre tout bonnement le macadam à travers la forêt pour arriver plus frais à la gare de Mariembourg.

4. Autour de Mariembourg et Couvin

Pour circuler à pied et voir les curiosités de la région, dont le célèbre « fondry des chiens », à Nismes, la gare de Mariembourg est un meilleur choix que celle de Couvin : elle est située du même côté de la nationale 5 que les objectifs principaux, et il n’y a donc pas à franchir l’autoroute par des ponts ou des tunnels à l’approche souvent peu agréables pour des marcheurs.

On s’écarte du GR12 pour cette étape. De Mariembourg, on peut gagner, par des petites routes pas trop fréquentées, même en été, le village de Nismes, puis monter au « fondry des chiens ». C’est un effondrement creusé par l’érosion souterraine dans le massif calcaire, qui se présente actuellement sous l’aspect d’un énorme trou au relief très accidenté. Il est entouré de prairies pauvres à la végétation très particulière, presque méditerranéenne, où batifolent des papillons et des insectes un peu rares, protégés par le statut de réserve naturelle. C’est l’endroit le plus « touristique » des itinéraires signalés jusqu’ici, le seul où, les week-end d’été, on risque de trouver trop de monde pour pouvoir en apprécier pleinement le charme et l’étrangeté.

De là, en retraversant le village de Nismes, on peut se rendre à un rocher isolé de la vallée du Viroin, nommé la « roche à Lomme ». À son sommet, assez facilement accessible, la vue est dégagée et porte loin. Puis, retrouvant le GR12 presque au pied du rocher, on peut pousser jusqu’au village de Dourbes ou bien rentrer directement retrouver le train à Mariembourg, selon la fatigue.

5. Quelques conseils

Pas besoin de chaussures particulières, ni de bâtons, ni d’énorme sac à dos, ni de cordes ni de crampons pour ces quatre randonnées, quand on les fait une à la fois. Une paire de sandales confortables, une musette ou un petit sac léger, et le tour est joué. Par contre, prévoir un chapeau et de l’eau en suffisance : un litre et demi, pour la journée, s’il fait chaud. Il n’y a pas des petites épiceries dans chaque village ! Compter une vitesse de cinq à l’heure, arrêts non compris.

Il vaut mieux faire l’effort d’examiner soigneusement la carte du GR avant de se mettre en route, de l’agrandir et d’en photographier les détails principaux, notamment aux abord des gares de départ et d’arrivée. Stocker quelques images du trajet à partir d’un grand écran d’ordinateur pourra se révéler d’autant plus utile que, sur le smartphone, avec les données mobiles, la carte interactive des sentiers est parfois très longue à charger et la manipulation (agrandissements, etc.) en est lente et pas très performante. Puis, en pleine campagne, le relief nuit parfois à la réception du signal.

De façon générale, le marquage est excellent sur tout le trajet ; il est rare de perdre les balises. Petit rappel : sur un GR, une ligne blanche et une rouge parallèles signifient que vous êtes sur le bon chemin ; deux lignes blanches et rouges croisées, à un carrefour, signifient que ce n’est pas la bonne direction ; et deux traits rouges et blancs de longueur normale surmontant deux traits rouges et blancs beaucoup plus courts avec une petite flèche signifie qu’une bifurcation arrive, qu’il va falloir tourner dans le sens indiqué par la flèche.

Bonne promenade !

 

Texte et images D. LYSSE © 07-2022
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Au musée Guimet, à Paris : Miniatures indiennes

On n’a pas souvent l’occasion de voir des miniatures indiennes, surtout depuis que les voyages au long cours sont devenus difficiles avec le Covid. Et même lorsqu’elles font partie de collections européennes, ces œuvres sont rarement montrées : les pigments et les papiers sont fragiles et se détériorent vite à la lumière. À Paris, au musée Guimet, on peut en voir actuellement (et jusqu’au 2 mai 2022) une sélection d’une soixantaine d’œuvres.

L’exposition est intéressante pour deux raisons. Il s’agit souvent de travaux de très grande qualité, dont plusieurs ont été peints sur commande expresse des empereurs moghols et de leur entourage. Et le fil conducteur choisi est insolite : présenter à travers l’illustration diverses formes d’ascétisme qui ont fleuri en Inde depuis les lointaines origines jusqu’aux développements dans le yoga et le soufisme musulman.

 

Ces images sont loin d’être toujours austères, contrairement à ce que peut laisser attendre un thème pareil ! Très vite, comme souvent en Inde, la richesse de l’imaginaire mythique et poétique vient se mêler à la rigueur des pratiques liées au renoncement. On retrouvera donc ici des scènes du Ramayana et du Mahabharatta où des rois, des princes et des princesses rendent visite à des ermites. Et aussi des vues presque paradisiaques d’ermitages situés dans la forêt ou au pied des montagnes, dans une nature qui est à moitié réaliste et à moitié onirique, enjolivée par les artistes de cour.

 

Très proches de la poésie et du rêve, aussi, sont les représentations de miracles accomplis par les ascètes. Non contents de conseiller les souverains ou d’accueillir les princes et princesses sur le chemin de l’exil, les ascètes réalisent parfois des prouesses métaphysiques, comme de boire l’océan, le temps qu’on déloge des abysses les démons qui s’y dissimulaient. Parfois, ils sont plutôt savants, rassemblant autour de leurs cabanes, en plus des étudiants, des lettrés et des érudits.

Les femmes ne sont pas absentes de ces images. Des yoginis s’y transmettent l’enseignement et la discipline de la renonciation. Parfois, plus bizarrement pour nous, on voit Shiva, prototype divin de l’ascète transgressif, à la limite des normes sociales, travailler de conserve avec son épouse pour préparer du bhang, de la pâte de cannabis.

Plus sagement, l’exposition se conclut avec des représentations de postures de yoga commandées par le futur empereur Jahangir, descendant de guerriers turco-mongols islamisés, mais remarquablement ouvert à toutes les composantes culturelles de l’immense territoire conquis par ses ancêtres. On verra aussi le portrait du malheureux Dara Shikoh, petit-fils de Jahangir, protecteur et familier des ascètes de toutes obédiences. Dans la lutte de succession au trône, cet adepte et promoteur d’un multiculturalisme tolérant fut accusé d’hérésie et d’apostasie puis assassiné par son frère, le futur empereur Aurangzeb, champion de ce qu’on appellerait sans doute aujourd’hui la tendance intégriste.

Pour ceux qui veulent prolonger la visite, quelques miniatures indiennes sont également montrées à l’étage inférieur, avec toujours ce mélange entre la figuration très narrative, proche du concret, et l’imaginaire, entre mythologie officielle et fantaisie ajoutée par le savoir-faire de l’artiste. De l’école de Bundi, on peut ainsi voir une scène où une princesse repose, mélancolique et indifférente au luxe qui l’entoure, rêvant à quelque amoureux qu’elle voit passer, glorieux, sur son cheval, devant le couchant, dans l’inaccessible ciel de son imagination.

Les immenses collections du musée, qui couvrent toute l’Asie, sont ensuite à disposition du visiteur, ainsi que le restaurant qu’on ne peut que recommander : un des bons asiatiques de Paris pour des prix raisonnables. Et à partir du 16 mars 2022, la grande exposition du printemps, consacrée à la figure du samouraï et à l’imaginaire guerrier au Japon.

texte et images D. LYSSE © 05-2022

Info : www.guimet.fr

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A Genève, révolution dans un vieux musée

texte et images D. LYSSE ©

Genève, patrie du calvinisme, n’a pas la réputation d’être la ville la plus amusante du monde. Et si on pense à une sortie débridée, divertissante, la première option qui passe par l’esprit n’est peut-être pas un musée d’Art et d’Histoire installé dans un pompeux bâtiment du dix-neuvième siècle. Mais il ne faut pas se fier aux clichés et aux apparences ! Du moins jusqu’en juin, le musée d’Art et d’Histoire de Genève est le théâtre d’une expérience particulièrement amusante, attrayante, surprenante. Les conservateurs en ont peut-être eu assez, un matin, de la présentation traditionnelle, chronologique, en commençant avec la Mésopotamie et l’Égypte ancienne pour arriver à Renoir puis au vingtième siècle. Ils ne supportaient peut-être plus de voir tous les jours les mêmes tableaux, les mêmes sculptures et les mêmes vases grecs mis en vedette aux cimaises et dans les vitrines.

Alors ils ont réexaminé tout leur stock, chefs-d’œuvres, œuvres secondaires, et puis tous ces trucs et ces bidules mis en réserve, qui ont pu être jugés un jour dignes d’être conservés, ou offerts au musée, sans qu’on sache trop bien qu’en faire ensuite. Ils ont choisi là-dedans un très large échantillon puis ils l’ont accroché pêle-mêle, en se fiant à leur inspiration, à leur sens de l’humour, à un thème, à un mot-clé, à des associations d’idées, de formes, de couleurs ou de matière.

Une salle, par exemple, regroupe des pots de toutes les époques et de toutes les origines rangés plus ou moins par ordre de taille ou par matériau pour former un immense serpent. Ailleurs on trouve une sorte de brocante de rêve, avec un déluge de costumes, de dentelles, d’horloges, d’argenterie, d’instruments de musique et d’objets insolites agrémentés d’authentiques et précieuses œuvres d’art, et aussi de moulages en plâtre qui ont dû servir pour des écoles, il y a longtemps. Ce long couloir-là, où tout est classé par couleur, possède un charme fou. C’est une caverne d’Ali-Baba, un piège où les yeux peuvent s’égarer, isoler un objet, puis un autre, puis revenir à l’ensemble avec délectation.

La visite suppose d’ailleurs une certaine rééducation du regard. Le visiteur est incité à faire confiance à son jugement et à ses affinités spontanées sans se laisser impressionner par un nom, prestigieux ou méprisé, inscrit sur une étiquette. Si on veut absolument connaître l’auteur ou la provenance précise de quelque chose, il faut parfois chercher un peu, trouver les répertoires dispersés dans les salles. Mais on se rend compte que, finalement, c’est secondaire : qu’importe s’il s’agit de Picasso ou de Tartempion, pourvu qu’on ait été touché, surpris, envoûté, ou qu’on ait ri.

Typique de la présentation est une salle où ne figurent que d’austères grandes pièces de tissu ou de peintures avec des rayures. De l’abstrait sans concession, des carrés et des lignes, pour les amateurs d’extrême dépouillement. On peut supposer que, pendant le montage, un des membres de l’équipe a dû lâcher une fine plaisanterie du genre : il ne manque vraiment plus qu’un zèbre, là-dedans ! Et tout le monde, autour de lui, a dû s’écrier : mais oui, tout à fait, quelle idée géniale ! Et téléphoner illico au muséum d’histoire naturelle pour qu’on leur prête l’animal empaillé.

Le zèbre contemple maintenant de ses beaux yeux de verre le public ébloui par tant de liberté dans la présentation, ou râlant du manque de respect pour les plus pieux souvenirs. Il faut reconnaître que les vénérables collections en prennent un insolent coup de jeune, au point qu’on les parcourrait presque en skateboard, pour le fun. Cerise sur le gâteau, pour que chacun se sente le bienvenu, le prix d’entrée est laissé à l’appréciation du visiteur, entre zéro et un million.

Pour le spectateur, cela représente une fascinante expérience. On découvre qu’une mamie un peu guindée, connue plutôt pour son bon goût, peut aussi faire des grimaces et animer une fête avec des blagues incroyables. C’est d’autant plus beau que c’est provisoire : on sait bien qu’elle n’a pas sombré dans la folie mais qu’après ce joyeux moment de détente, elle redeviendra l’honorable vieille dame pleine de sagesse et un peu cérémonieuse qu’on a toujours connue. On ne l’en aimera que mieux. Une idée dont on pourrait s’inspirer…

 

Pour des informations pratiques et le site du « Musée d’art et d’histoire » appuyez ici

Février 2022
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Convocation à l’Assemblée Générale – Exercice 2021

Le détail de la convocation se trouve sous la rubrique « mon compte » après la connexion à l’espace membre.

SEUL(E)S LES MEMBRES EN REGLE DE COTISATION PEUVENT PARTICIPER A L’ASSEMBLEE GENERALE.

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Le Cinquantenaire, un musée taille XXL

texte et images D. LYSSE ©

En ce début d’été pluvieux, pour ceux qui restent en Belgique, c’est peut-être le moment d’aller voir ou revoir, à Bruxelles, un musée à la taille extra-large : le musée du Cinquantenaire.

Vouloir en faire un inventaire rapide, en s’en tenant aux chefs-d’œuvres et en passant rapidement par tous les couloirs pour jeter un vague coup d’œil au reste, risque d’être une expérience un peu décevante dans la mesure où l’on n’est pas ici au Louvre ni au Brittish Museum. Pas de Nefertiti, pas de casque de Sutton Hoo, pas de Vénus de Milo ni de frises du Parthénon. Par contre, dans toutes les sections, on trouvera nombre de pièces attachantes mais plus discrètes, qui demandent une visite plus attentive, un regard moins pressé et plus affectueux pour livrer leur richesse.

Pour ceux qui peuvent se permettre le luxe de revenir au musée, qui ne sont pas des étrangers de passage ou qui ne doivent pas rentabiliser au maximum le prix du billet d’entrée, on ne saurait assez recommander de s’en tenir à une partie bien délimitée des collections. Pour cela, on peut diviser, en gros, le musée en trois morceaux. Une aile concerne l’Antiquité classique, Rome, la Grèce, le bassin méditerranéen, le Proche et le Moyen-Orient. Les salles situées au milieu du bâtiment regroupent les civilisations plus lointaines, essentiellement l’Asie et l’Amérique anciennes. Et une autre aile contient tout ce qui concerne le territoire qui est aujourd’hui la Belgique, depuis l’âge de la pierre jusqu’à l’art nouveau et l’art déco.

Antiquité et Proche-Orient

L’Égypte, la Grèce et Rome sont les secteurs les plus visités. La présentation en est pourtant datée : elle devrait être totalement rénovée dans deux ans (à en croire des bruits de couloir). Ceci dit, même si certaines vitrines sont peu attrayantes, avec un éclairage au néon qui perturbe les appareils photo, les collections restent belles, avec un grand choix de vases peints, côté grec, des mosaïques, un très beau bronze monumental et quelques bustes-portraits énergiques d’époque romaine puis des sarcophages à momies, une chambre tombale transportée en entier depuis le Nil, des inscriptions en hiéroglyphes et autres statues de pharaons de toutes les époques, côté égyptien.

Cela vaut la peine de lire les notices et, à côté des pièces auxquelles on peut s’attendre dans ce genre de section, on en trouvera d’autre plus insolites, même si elles sont peu spectaculaires, comme cette lettre en écriture cunéiforme sur une tablette d’argile où un pharaon demande comme tribut à un vassal palestinien quarante femmes pour son harem, qui soient bonnes musiciennes et sans défaut de beauté.

Dans cette aile-là, ce qu’il ne faut pas manquer, parce que la présentation est impeccable et que les objets montrés sont parfois peu courants, ce sont les sections Moyen-Orient antique et monde islamique. Bizarrement, bien qu’elles soient très vastes, ces salles sont renseignées de façon totalement confidentielle. Voilà au moins une piste pour arriver aux collections syrienne et mésopotamienne : il faut descendre au sous-sol et chercher la porte vitrée sur le côté de la maquette de Rome, en face des écrans vidéos bavards.

Là aussi, des pièces un peu bizarres mais discrètes peuvent révéler beaucoup sur la mentalité d’époques éloignées, comme ces bols magiques qu’on enterrait dans les fondations des maisons, il y a une douzaine de siècles, chez les Mandéens, où un démon était représenté schématiquement, pieds et poings liés, entouré de formules propitiatoires qui protégeraient le bâtiment contre l’intrusion de créatures métaphysiques malfaisantes. Dans les vitrines proches de l’entrée, les petits bronzes très pittoresques, pour les mors de chevaux, ou assez mystérieux, pour les figures composites du Luristan (dans l’actuel Iran), forment un ensemble assez remarquable.

La section des arts de l’islam montre un vaste choix d’œuvres plus ou moins abstraites, poteries, textiles, tapis ou armes de prestige, et aussi beaucoup de pièces figuratives venues de ces régions (surtout l’Iran et sa très vaste aire culturelle) où l’interdiction religieuse des images a été vite contournée, permettant la floraison de riches écoles de miniature ou de peinture sur céramique.

Asie et Amériques

Dans la partie Asie et Amériques, je recommanderais de commencer la visite par la section américaine, au rez-de-chaussée. La collection Janssens a été montrée dans ces salles pendant un temps mais, propriété de la communauté flamande qui l’a reçue en paiement de droits de succession, elle est maintenant exposée à Anvers. Le Cinquantenaire possédait par ailleurs un vaste fond concernant ce domaine et, sauf du côté de l’orfèvrerie, il offre actuellement une sélection qui reste aussi passionnante pour le visiteur. On retrouvera donc ici toutes ces représentations d’êtres divins ou, plus banalement, de personnages civils occupés à leurs tâches particulières, images qui peuvent se montrer très touchantes pour peu qu’on prenne le temps de s’accoutumer à leurs formes peu familières (et à des dénominations déroutantes comme Huitzilopochtli !).

Les enfants et ceux qui ont gardé leur âme d’enfant s’émerveilleront alors de trouver ici des têtes réduites jivaro ou bien le fétiche arumbaya de l’album L’oreille cassée des aventures de Tintin, ou la momie de Rascar Capac, la seule a avoir été conservée dans sa vitrine ancienne, exactement comme l’avait vue Hergé quand il l’a dessinée dans Les sept boules de cristal. À l’étage supérieur, ils retrouveront le très beau Shiva dansant, en bronze, du sud de l’Inde, devant lequel un Indien voulait trancher la tête à Milou dans Les cigares du pharaon. L’usage qu’a pu en faire Hergé montre, au passage, à quel point ces collections ont potentiellement une vie propre et peuvent être regardées d’une manière créative : tout dépend vraiment de l’œil et de l’état d’esprit du visiteur !

Belgique

Quant à la partie « histoire de Belgique », c’est évidemment les sections dans lesquelles le musée excelle, où il n’a de concurrence dans aucune autre capitale. Avec le handicap que notre petit territoire a été longtemps très périphérique dans l’histoire du monde et de la culture. Même si la présentation est impeccable et attrayante, une certaine austérité marque ainsi les premiers millénaires.

Pas d’élaboration grandiose venue de l’âge de la pierre, ici : ni peinture pariétale ni statuette de Vénus fessue. À l’âge du fer, les Celtes ont laissé beaucoup de traces de leur existence dans nos régions, mais il s’agit souvent d’une vie rurale sans réalisation spectaculaire. La conquête romaine a inondé le territoire d’objets de luxe et de demi-luxe amenés par des marchands auprès des riches et des puissants locaux, mais beaucoup étaient fabriqués ailleurs ou alors copiés de modèles importés, sans originalité foudroyante : cela souligne à quel point nous n’étions qu’un lointain territoire frontalier pour l’Empire. Quant aux invasions germaniques, elles n’ont laissé que de pauvres vestiges, quand une épée rouillée, une boucle de ceinture ou une broche incrustée de grenats ou de verroterie font figure de trésor inestimable.

Les spécialistes et les passionnés se régaleront, bien sûr, des artefacts exposés et des explications qui les accompagnent. Mais pour les autres, je conseillerais de laisser pour la fin les premiers millénaires du territoire et de commencer directement la visite aux XIIe et XIIIe siècles, dans la salle dite « du trésor ». On assiste là à la première floraison culturelle d’envergure, dans la région de la Meuse, avec de l’orfèvrerie religieuse. Ceux qui ont lu sur ce blog l’article consacré à Hugo d’Oignies retrouveront deux pièces de sa main ou de son atelier, dont un reliquaire où il témoigne de toute sa vénération pour Marie d’Oignies (et même de sa proximité avec la sainte, quand il inscrit son nom en français sur la dédicace commencée de manière plus officielle en latin).

Ceux qui ont lu l’article sur le musée de la tapisserie à Tournai retrouveront, un peu plus loin, des tapisseries de la cour de Bourgogne montrant, notamment, Hercule en prince de Bourgogne. Ceux qui ont visité le musée dans l’hôtel de ville d’Audenarde retrouveront ici une des tapisseries dites « verdures d’Audenarde ». Juste à côté ils pourront voir une « verdure d’Enghien », exactement comme s’ils étaient allés à Enghien.

À ce point de vue, le Cinquantenaire est comme un résumé de ce qu’on peut voir dispersé dans tous les petits musées thématiques du pays. Il en est le complément nécessaire, d’ailleurs, avec l’avantage qu’il n’y a pas à se déplacer d’une ville à l’autre ni à prendre rendez-vous avec des institutions locales parfois confidentielles ou avec des fabriques d’église ou des trésors de cathédrales aux conditions de visites très limitées, voire erratiques.

L’accrochage au Cinquantenaire, suivant la ligne du temps, fait aussi qu’on perçoit mieux la place que chaque objet occupe dans l’implacable défilement des siècles, des styles et des modes : quelle tendance nouvelle il incarnait à l’époque de sa création et par quelle autre il sera bientôt remplacé, renvoyé au statut de témoin d’époques révolues.

L’inconvénient, inévitable, est que cette accumulation de pièces les rend chacune plus anonymes, les coupe un peu de leur contexte. Les tapisseries des ducs de Bourgogne, par exemple, qui sont la plus grande richesse du musée de Tournai et y sont donc mises en vedette et explicitées avec beaucoup de pédagogie, sont un peu noyées ici. Elles paraissent un peu plus confuses encore quand on les compare aux époques ultérieures, elles semblent vite trop encombrées de scènes et de personnages pour qu’on prenne le temps de les déchiffrer alors que se profile une effrayante enfilade de salles. Bref, elles restent muettes pour la plus grande part du public.

De même, le reliquaire contenant le petit doigt de Marie d’Oignies devient ici une pièce d’orfèvrerie parmi d’autres, peut-être pas la plus belle, d’ailleurs. Et son inscription, qui commence en latin administratif et finit en langue populaire en souvenir d’un contact vécu et concret avec une femme exceptionnelle qui avait bouleversé les destinées de ceux qui avaient côtoyé son petit béguinage, restera pour la majorité du public une ligne d’écriture dorée perdue dans un flot d’inscriptions beaucoup plus conventionnelles et indifférentes courant sur d’autres reliquaires, sur des autels portatifs ou des croix processionnelles. L’accumulation tue un peu la magie individuelle de chaque objet, elle anesthésie un peu la capacité d’attention du visiteur.

Les explications fournies par le musée essaient de trouver le juste milieu entre l’information exhaustive, qui rendrait la visite interminable, et le minimum nécessaire pour arriver à situer les grands et petits mouvements artistiques qui ont rythmé la vie dans nos provinces et qui ont accompagné l’essor de telle ou telle ville, ou le déclin d’une autre. Elles y arrivent assez bien et sont toujours pertinentes.

Difficile de recommander de s’attarder sur une œuvre en particulier : pour celui qui a une certaine familiarité avec les diverses productions des artisans de nos régions, elles ont toutes leur personnalité, leur petite ou leur grande histoire à raconter. Je suggérerais malgré tout au visiteur de s’arrêter un moment devant le grand retable bruxellois en bois sombre sculpté vers l’an 1500 par Jan Borreman et son atelier.

Il raconte le martyre de saint Georges, sujet sans grande surprise pour un ornement d’église. Mais le récit est déjà hilarant, si l’on ose dire à propos de séances de torture, parce que le malheureux Georges y passe de toutes les manières possibles et imaginables, déchiqueté dans une machinerie à roues, brûlé la tête en bas sur un grand feu, bouilli dans une énorme marmite en forme de taureau, etc. Et ça rate toujours, il se retrouve chaque fois à moitié nu et intact comme au début, jusqu’à ce que l’imagination des bourreaux se tarisse ou que le ciel se lasse enfin de venir sans arrêt à son secours, et qu’on lui tranche banalement la tête.

Il faut regarder de près les figures des acteurs, attristées ou brutales, songeuses ou haineuses mais toujours férocement populaires. Il y a ici toute la virtuosité de la Renaissance dans le rendu des corps, des matières et de l’espace mais en même temps, un refus total ou au moins une résistance obstinée contre l’idéalisation des personnages et l’italianisme qui l’accompagnait d’habitude à cette époque.

C’est l’esprit qui a animé Brueghel qui se trouve là en action, un peu gouailleur et attaché au quotidien, même dans les scènes sacrées, méfiant devant les grandes idées, les idéaux désincarnés, les propagandes pompeuses. Ce n’est pas dans ces ateliers que l’empereur Auguste aurait pu se faire représenter en dieu grec, malgré son âge et son probable embonpoint. Tout le monde, rois, pontifes, saints, militaires, palefreniers, paysans et petit peuple accouru au spectacle est montré bien authentique, bien concret en toutes circonstances. Pour cette exemplarité et pour la qualité de la composition des scènes ainsi que de chaque rendu de détail, ce retable-là mérite vraiment qu’on y consacre plus qu’un coup d’œil distrait, pressé, fatigué par l’océan de vitrines déjà vues ou encore à voir.

Ceci dit, un autre chroniqueur s’enthousiasmerait sans doute pour d’autres œuvres. À vous de trouver dans les salles les objets d’art qui sauront faire résonner en vous une corde intime. Le choix est tellement immense, entre les premiers silex et les œuvres art nouveau et art déco placées dans des vitrines dessinées par Horta, qu’il serait vraiment incroyable que la visite ne vous apporte aucune émotion. Vous l’avez sûrement remarqué, d’ailleurs : dans les photos illustrant cet article et montrant les diverses salles, il ne manque qu’une chose, vous !

 

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L’Italie, des hommes et des mots

Robert Massart

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Belgique manquait de main d’œuvre pour faire redémarrer ses industries, et l’Italie, de son côté, n’avait pas assez de travail à offrir à sa population. C’est pourquoi, le 23 juin 1946, les deux pays signèrent un accord économique relatif à l’exploitation de la houille dans le sillon Sambre et Meuse, accord appelé aussi « Des hommes contre du charbon ». Cette année, on commémore chez nous les septante-cinq ans de l’immigration italienne.

L’immigrazione

Ainsi, jusqu’au milieu des années 1950, des dizaines de milliers d’hommes venant surtout du centre et du sud de l’Italie sont arrivés en Wallonie. La population locale n’était pas toujours très gentille avec eux : on les appelait “macaronis”, “tchitchos” – l’argot “rital” n’avait pas encore franchi la frontière -, on racontait qu’ils étaient fainéants, tire-au-flanc. Jusqu’au jour où, au milieu d’un été superbe, plus personne n’a osé rire des travailleurs italiens. Ce jour-là, le 8 aout 1956, les Belges ont entendu la langue italienne résonner gravement à la radio, et tous les jours qui suivirent, dans des émissions destinées aux familles d’immigrés pour leur donner les dernières nouvelles de la catastrophe minière du Bois du Cazier, à Marcinelle.

Deux-cent-soixante-deux morts, dont cent-trente-six Italiens. Après deux semaines d’efforts désespérés, un sauveteur fit cette déclaration que nul n’a oubliée : Tutti cadaveri, ils sont tous morts. Après ce désastre, on n’a plus considéré les Italiens de Wallonie comme avant, il faut dire aussi que, sur la lancée, nous avions appris qu’ils étaient plus de cinquante-mille à être venus chez nous pour extraire le charbon au péril de leur vie, et que beaucoup vivaient dans des conditions presque infra-humaines, certains étant encore logés dans d’anciens baraquements de prisonniers de la guerre de 40-45.

Partir ou rester ?

Par la suite, une grande partie de la communauté italienne est rentrée au pays natal, les uns ayant atteint l’âge de la retraite, d’autres, après le drame de Marcinelle, préférant une vie modeste, chez eux, plutôt que de la perdre à l’étranger. D’autres encore ont quitté la Wallonie quand la crise s’y est installée, fermant les usines et les houillères et réduisant au chômage des dizaines de milliers de travailleurs.

Malgré tout, beaucoup d’Italiens sont restés chez nous, les racines étaient déjà enfouies trop profond, les enfants s’étaient habitués au pays d’accueil et s’étaient mariés, bien souvent, avec des Wallonnes et des Wallons. Ainsi, du Bassin liégeois jusqu’au Borinage, en passant par le Pays Noir et la région de La Louvière, les Italiens ont parsemé les vallées de la Sambre et de la Meuse de la lumière de leurs noms et de leur accent, ce faisant ils ont en quelque sorte relatinisé un peu cette vieille terre déjà conquise, jadis, par leurs lointains ancêtres venus à pied des bords du Tibre.

Le « frantalien » avant le franglais

Toutefois, sans devoir remonter si loin et sans attendre non plus la signature d’un « accord charbonnier », l’Italie et les Italiens ont encore influencé plusieurs fois nos pays et singulièrement notre langue. Par exemple, avons-nous conscience de parler italien si nous énonçons des phrases comme celles-ci : « Les banquiers ont alerté leurs clients les plus poltrons, mais cette alarme était une bombe de carnaval. Derrière les façades, gardés par les sentinelles et camouflés dans le clair-obscur des salons, entre le minestrone et les cassates, plus question pour les hôtes et leurs escortes de désastre ni de banqueroute. Place à la bagatelle, la guerre était passée. » ? Elles contiennent une douzaine d’italianismes.

Un italianisme est un mot propre à la langue italienne transposé dans une autre langue. Les dictionnaires recensent aujourd’hui la présence d’environ sept-cents mots d’origine italienne en français. Toutefois, nous allons voir que les emprunts à l’italien furent bien plus nombreux au seizième siècle : les lexicologues parlent alors de trois mille italianismes au moins et certains avancent le chiffre de huit mille. Que s’est-il donc passé à cette époque ?

La Renaissance

Au 14e siècle l’Italie est entrée dans une ère que l’on appellera la Renaissance : il Trecento et il Quattrocento (le 14e et le 15e siècle). Il s’agit d’une longue période d’épanouissement culturel et artistique, la sortie du Moyen Âge, due, en partie, à l’afflux de savants et d’artistes qui fuyaient la conquête de Constantinople par les Ottomans pour se réfugier en Italie, berceau de la civilisation gréco-latine qu’ils vont contribuer à redynamiser et remettre à l’honneur.

À partir du 16e siècle la France, qui sort aussi peu à peu du Moyen Âge, éprouve une forte attirance pour tout ce qui vient d’Italie. Cet engouement est favorisé d’abord par des campagnes militaires (les guerres d’Italie) de plusieurs souverains français qui prétendaient avoir des droits héréditaires sur le Milanais et le royaume de Naples. Ensuite par l’arrivée de deux reines italiennes à la cour de France : Catherine de Médicis qui épousera le fils de François 1er, le futur Henri II, et Marie de Médicis, l’épouse d’Henri IV, qui exercera la régence jusqu’à l’avènement de Louis XIII. Il faut ajouter à cela le cardinal Mazarin, ou Mazzarini, originaire des Abruzzes, qui occupera la fonction de principal ministre d’État pendant dix-neuf ans, sous Louis XIV.

Une grande italophilie

L’ensemble de ces éléments a influencé directement la société et la civilisation françaises et, bien entendu, la langue. Tous les domaines du lexique français seront touchés par les mots italiens, de la vie de cour à l’alimentation en passant par la mode vestimentaire, l’architecture, la musique, les beaux-arts et la finance. Quelques exemples : altesse, ambassade, guerre, bombe, infanterie, cantatrice, castrat, barcarolle, sonate, façade, appartement, salon, douche, balcon, espalier, dôme, coupole, dessin, aquarelle, bilan, banque, carafe, botte, caleçon, escarpin, perruque, artichaut, biscotte, cantine … Et toujours dans le domaine alimentaire, peut-on imaginer que le mot « caviar » lui-même nous soit venu de la langue italienne où caviale est une transformation du persan « havyar » qui signifie « œufs de poisson » ?

La réaction

Cette vogue italianisante devait provoquer inévitablement une réaction. Un vif sursaut d’orgueil national à une époque où le français venait d’être promu au rang de langue officielle de l’administration par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), au détriment du latin. Cette même année paraissait le premier dictionnaire de français. Quelques décennies plus tard ce seront De la précellence du langage français, d’Henri Estienne, et La Défense et Illustration de la langue française, de Du Bellay. Plusieurs auteurs brocarderont aussi les snobs (le mot n’existait pas encore) qui « singent l’italien » avec leurs « corruptions italiques ».

Avec le temps, la mode, comme toujours, s’affaiblira et disparaitra. La plupart des italianismes ont été oubliés (on ne dit plus « spurquesse » pour saleté), de plusieurs milliers qu’ils étaient il n’en subsiste que quelques centaines qui se sont parfaitement intégrés dans leur langue d’accueil – le fait qu’il s’agissait de deux langues romanes a facilité les choses – notamment par l’assimilation morphologique : alarme a tout d’un authentique mot français, comme banqueroute ou dessin. On n’y reconnait plus leur « passé » italien : all’arme (aux armes), la banca è rotta (le banc est cassé, rompu), il disegno, disegnare (le dessin, dessiner).

Italianismes et anglicismes : même combat ?

On ne peut pas en dire autant de l’afflux d’anglicismes que le français subit depuis le vingtième siècle, car la situation est différente : au 16e siècle les communications étaient lentes et les échanges linguistiques se faisaient surtout oralement. Les mots étrangers étaient prononcés selon les habitudes phonétiques de leur langue d’accueil. Aujourd’hui, la plupart des mots anglais nous arrivent par la voie écrite et très rapidement. Ils n’ont ni le temps ni la possibilité de se fondre dans la langue française, ce qui n’était pas encore le cas il y a un siècle quand packet boat devenait un paquebot et riding coat une redingote.

Et maintenant ?

Et, me direz-vous, il n’y a plus eu d’emprunts à l’italien depuis la Renaissance ? Si, bien sûr, mais moins nombreux et réservés à quelques domaines spécifiques : la musique, la cuisine : opéra, diva, bel canto, spaghetti, carpaccio, lasagne, pizza, spumante, etc. Aussi quelques occurrences liées à l’Église catholique, par exemple la papamobile.

L’autostrade ou l’autoroute ?

Pour terminer, le mot « autostrade » est un cas intéressant qui mérite quelques commentaires. Il est apparu pendant la première moitié du siècle passé, l’Italie ayant en quelque sorte « inventé » les autoroutes. La première, dans la région de Milan, date de 1924. Mussolini avait l’ambition de renouer avec la tradition romaine des fameuses chaussées qui sillonnaient autrefois tout l’Empire. Le mot « autostrada » en italien est une sorte de mot valise formé sur « strada », la route ou la rue, et « automobili » : route réservée aux automobiles. Bientôt le concept et le mot ont été imités en Allemagne (Autobahn). En français « autoroute » apparait à la même époque, mais il ne s’est répandu que dans les années 1950 avec les premières constructions autoroutières françaises.
Les pays francophones ont adopté l’autoroute. Toutefois, en Belgique, il y eut un peu de flottement dans l’usage. Le mot italien, francisé, « autostrade » a concurrencé « autoroute » pendant quelques années. Peut-être parce que les Belges le confondaient au début avec un mot néerlandais, « strade » étant proche de « straat ». Autoroute se dit en néerlandais « autosnelweg ».

J’applique l’orthographe recommandée de 1990.
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Tournai méconnue

texte et images D. LYSSE ©

La ville de Tournai ne fait pas partie des objectifs touristiques les plus courus de Belgique. C’est assez injuste. Elle ne manque pas de charme, avec ses rues anciennes et ses terrasses sur la grand-place. Et surtout, en plus de la silhouette emblématique des clochers romans de sa cathédrale, elle propose aux amateurs d’art et de culture un vaste choix de musées.

 

Musée des Beaux-Arts

Le Musée des Beaux-Arts, en premier lieu. Géré par une équipe extrêmement dynamique, et promis à une extension prochaine, il expose de façon tournante une sélection dans sa large collection, ce qui fait que deux visites à six mois ou un an d’intervalle seront toujours différentes. Il y a, naturellement, quelques chefs-d’œuvre incontournables qu’on ne retire jamais des cimaises : deux peintures de Manet, notamment, extrêmement célèbres et qu’envieraient tous les musées du monde.

La présentation actuelle est centrée sur un prêt de deux grands bronzes de Rik Wauters : la « Vierge folle », d’après les chorégraphies d’Isadora Duncan, et une statue en pied de Nel, son épouse adorée et modèle préféré. L’arrivée de ces sculptures a donné l’impulsion pour un accrochage basé sur l’image de la femme dans les œuvres du musée.

Pour mieux guider le visiteur et retenir son attention pendant son périple à travers les salles, les organisateurs ont choisi de placer auprès de certaines œuvres un commentaire personnel ou une citation littéraire pouvant servir de contrepoint. Dans le contexte culturel et médiatique du présent, fortement marqué par le mouvement « Me too », un thème comme l’image de la femme appelle évidemment d’autres commentaires qu’il ne l’aurait fait il y a vingt ans, ou il y a un siècle. Ces notices permettent, dans un premier temps, de créer un lien entre les ouvrages, souvent anciens, accrochés aux murs, et diverses facettes du politiquement correct venu d’Outre-Atlantique.

Même lorsqu’elle se fait, comme ici, sans excès, évitant communautarisme, censures et ostracismes, une telle démarche d’actualisation court toujours le risque de réinterpréter des œuvres historiques à la lumière des polémiques contemporaines, un peu comme ces metteurs en scène d’opéra qui, dans la deuxième moitié du XXe siècle, ne pouvaient aborder Wagner sans y plaquer à toute force des uniformes hitlériens.

Faut-il mettre systématiquement en avant l’exploitation de la femme dans les lavandières de De Braekeleer ou dans des représentations de paysannes, qui tenaient peut-être moins du discours féministe que de la recherche du pittoresque (ou, dans d’autres cas, d’un érotisme discret) par le peintre ? Toute représentation d’un modèle féminin familier, humble ou nanti, posant dans l’intimité, simplement assis sur une chaise dans un appartement, doit-elle fatalement renvoyer au confinement des femmes à la maison dans les sociétés patriarcales ?

La démarche eût en tout cas paru étrange, il a quelques décennies, et cela n’aide peut-être pas toujours à resituer l’œuvre dans son époque d’origine ou à pénétrer son identité profonde, ce qui la rend unique. Mais peu importe : si ce genre de rapprochement permet de créer un pont entre des sculptures ou des dessins anciens et un spectateur moderne, branché sur l’actualité et les discussions du jour, il est déjà bénéfique. Et le commentateur s’est gardé d’en faire trop dans ses interventions, revenant régulièrement à des perspectives plus liées à l’histoire de l’art. Quoi qu’il en soit, cela permet une visite du musée très cohérente et, au total, extrêmement réjouissante.

Musée de la tapisserie

À quelques centaines de mètres de là, le très beau musée de la tapisserie propose, pour sa part, diverses tapisseries contemporaines, parfois surprenantes, d’autres du siècle passé, mais aussi une dizaine de réalisations de prestige parvenues jusqu’à nous depuis l’époque de ducs de Bourgogne, aux XVe et XVIe siècles, quand les manufactures de Tournai étaient à leur apogée.

Au premier coup d’œil, elles peuvent déconcerter mais il faut prendre le temps de se familiariser avec elles. Ce sont des panneaux immenses, conçus pour être suspendus dans des salles d’apparat, avec des couleurs un peu passées et des mises en scènes parfois confuses à force d’être compactes, emplies de détails. Il y avait une vraie horreur du vide dans la décoration, à l’époque. Tout étincelle d’armures, de costumes luxueux ; les lointains s’emplissent de toits, de villes, d’arbres, de petits paysages, et quand un peu d’espace subsiste à l’avant-plan, entre deux pieds ou devant un pan de mur, il est vite comblé avec des plantes, des fleurs, un petit lapin, bref, avec n’importe quoi.

Les histoires que racontent ces panneaux (expliquées sur des cartons à consulter) ont, elles aussi, l’air tarabiscotées. On dirait de la mythologie classique mais racontée d’une manière bizarrement tordue, comme si les auteurs avaient oublié le sens et le scénario des mythes qu’ils racontaient, comme s’ils n’en connaissaient que des bribes qu’ils auraient récupérées pour les tordre à leur manière.

Après un moment, quand le regard se met à isoler et reconnaître les différents personnages et les actions, et quand on déchiffre mieux les intrigues, on s’aperçoit que tout est beaucoup moins farfelu et désordonné qu’il n’y paraît. Les distorsions des récits ne sont pas accidentelles, elles ne sont dues qu’au politiquement correct de l’époque, qui forçait à relire des données culturelles plus anciennes à la seule lumière des événements contemporains.

La minorité opprimée qu’il s’agissait alors de défendre, de réhabiliter et de glorifier, c’était la cour de Bourgogne. Issus de cadets de famille du roi de France, ils étaient condamnés à végéter comme vassaux de Paris même si, à la faveur de la Guerre de Cent ans, ils se trouvaient parfois plus puissants ou plus brillants culturellement que les descendants de la branche aînée.

Ils s’identifiaient volontiers à Hercule, opprimé lui aussi, asservi au roi de Tirynthe et condamné aux célèbres travaux. L’air du temps était donc à la glorification de l’héroïsme et du mérite mal reconnus et mal récompensés, alors les auteurs et les artistes de l’époque en rajoutaient à qui mieux mieux sur les exploits et les mérites d’Hercule.

Sur les tapisseries du musée, on voit un Hercule civilisateur, qui vole le secret des tissus en laine en dérobant les moutons que le géant Atlas emprisonnait en Espagne à son seul usage (il assassine Atlas au passage, sous les yeux de ses filles horrifiées). Ou alors on voit Hercule et ses compagnons qui refont la guerre de Troie et détruisent Troie à eux tout seuls, vexés de n’avoir pas pu y faire escale pendant leur quête de la Toison d’Or. Et quand Hercule n’est pas montré en armure d’apparat moyenâgeuse, avec une épée dégoulinante de sang et la tête d’un puissant honni dans la main, il apparaît, comme on s’en doute, vêtu comme un duc bourguignon.

Peu importait, alors, que la culture grecque s’en retrouve estropiée, tant que les développements qu’on en tirait servaient les luttes et l’humeur de l’époque. Les temps belliqueux sont peu propices à une approche respectueuse et distanciée de l’Histoire, l’urgence de la cause à défendre prime sur le reste. Et on sait que le XVe siècle a été un siècle atrocement belliqueux en Europe du Nord.

De façon amusante, le politiquement correct de la fin du Moyen-âge se trouve parfois diamétralement opposé au politiquement correct contemporain. Revisitant la campagne militaire de Titus au Proche Orient au premier siècle de notre ère, un autre cycle de tapisseries tournaisiennes anciennes raconte ainsi comment le Christ s’est vengé des Juifs qui l’avaient humilié, torturé et assassiné : il leur avait envoyé les légions romaines pour détruire Jérusalem, saccager leur pays et déporter toute la population survivante.

Un panneau nous montre Néron, outré par la mort de Jésus, qui mandate Vespasien et Titus pour punir les Juifs. En haut de l’image se voient déjà les armures métalliques des cohortes de chevaliers sur pied de guerre pour venger le Sauveur divin. Sur un autre panneau, dans Jérusalem assiégée et affamée, une riche juive a dissimulé des victuailles et s’empiffre en cachette de poulets à la broche et de saucisse pendant que l’assaut final est donné. Un détail de cette scène de destruction mouvementée nous montre l’accapareuse tirée de son festin par le soldat romain qui va punir sur elle comme sur ses concitoyens le crime d’appartenir à une race déicide, en la trucidant, en la violant ou en la vendant comme esclave, au choix.

À notre époque, on peut s’étonner qu’aucune ligue de vertu ne soit venue demander le retrait de ces œuvres antisémites des cimaises du musée, ou que personne n’ait au moins exigé une sévère remise en contexte. Je plaisante, naturellement : ces vénérables tapisseries demandent un effort de déchiffrage suffisamment grand pour décourager a priori les amateurs de ce genre d’anachronismes interprétatifs et d’absence de perspectives historiques.

Saint Jacques et la cathédrale

On peut d’ailleurs continuer la visite de la ville en conservant ce fil du politiquement correct. A la cathédrale et à l’église saint Jacques (un bâtiment d’une belle architecture gothique construite autour d’un énorme clocher roman), par exemple, les visiteurs pourront alors se souvenir de l’air du temps à l’époque de la censure protestante, vers l’an 1566. De grands destructeurs de statues et de grands rectificateurs du passé pour raison idéologique, eux aussi !

Il suffit de voir avec quel soin ont été martelés les portails de la cathédrale et comment rien ne subsiste, ou presque, à l’intérieur des deux bâtiments, de la décoration et du mobilier liturgique d’origine, pour se rendre compte à quel point les représentations de la sainte famille, des saints ou même de simples donateurs ou de figures allégoriques ont pu sembler odieuses à certains militants du XVIe siècle. Ces gens-là étaient certes pleins de bonnes intentions, seulement soucieux de ramener le public à une piété plus authentique, plus centrée sur le récit évangélique, moins distraite par des images parasites, mais on se dit qu’ils auraient pu se contenter de voiler ou de déplacer les œuvres qui ne leur plaisaient pas, sans s’acharner pareillement à détruire la mémoire et le legs des siècles qui les avaient précédés.

Les intentions pieuses qui ont mené aux vertueuses destructions des iconoclastes protestants du XVIe siècle sont évidemment très différentes de celles des voleurs qui ont dérobé en 2008 la pièce la plus précieuse du trésor de la cathédrale, une croix byzantine supposée contenir une relique de la vraie croix, mais le résultat des deux actions est finalement le même : tout cela est perdu pour le public. La possibilité d’un contact concret, vivant, avec d’autres mentalités et d’autres points de vue que les nôtres s’évapore. Et nous nous retrouvons plus qu’avant enfermés dans les certitudes et les polémiques du présent, en perdant la notion de leur relativité, du fait qu’elles sont destinées, elles aussi, à passer.

Soit dit en passant, les gardiens du trésor de la cathédrale ont peut-être été traumatisés par le vol de 2008, ou alors ils avaient d’autres soucis lors de mon passage (la préparation de la liturgie du lendemain, m’a dit une dame à travers la porte vitrée), mais toujours est-il qu’en me présentant deux fois pendant les heures de visite, je ne suis jamais arrivé à entrer. Je vous en parlerai donc dans un prochain article, si le ciel et les besoins de la liturgie sont favorables et permettent l’ouverture du local à ce moment-là.

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Que se passe-t-il lors de l’envoi d’un e-mail ?

Un peu d’histoire…

Raymond Samuel Tomlinson
(1941-2016)

L’invention du courrier électronique trouve ses origines lors de la création du réseau ARPANET. Inventé par Ray Tomlinson en 1971, ingénieur diplômé de la prestigieuse école MIT (Massachusetts Institute of Technology). L’email constitue aujourd’hui une grande part de notre communication quotidienne.

Auparavant, il était possible d’envoyer des messages, mais ces derniers ne pouvaient être envoyés qu’à des utilisateurs du même domaine et sur le même appareil que celui ayant préalablement servi à l’envoi. Un nombre de contraintes restreignant de fait, l’utilité du mail.

L’idée de Ray Tomlinson fut de créer, outre les applications dédiées à l’envoi et à la lecture des messages, des protocoles d’envoi et de réception utilisant le réseau ARPANET.

Il ne restait plus qu’à trouver un moyen de différencier le nom d’utilisateur du nom de domaine afin que la machine puisse délivrer les messages à la bonne adresse. Ainsi est née l’adresse mail telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec une arobase (@).

Pourquoi l’arobase ? Ray Tomlinson avait noté que ce caractère n’était présent dans aucun nom propre et, point primordial, dans aucun nom d’entreprise.

Mais alors, quel mécanisme cet ingénieur en informatique a-t-il mis en place pour créer cet outil ?  Quelles sont les différentes étapes lors de l’envoi d’un email ? Réponses à suivre !

Comprendre l’échange d’informations

Avant toute chose, il est important de comprendre les différentes structures permettant l’échange d’informations. Plusieurs leviers existent et forment l’architecture du réseau internet.

a) Réseaux et IP (Internet Protocol)
Les emails existent et transitent grâce à un réseau informatique. Ce réseau est en réalité un maillage d’ordinateurs permettant de transporter des informations mais aussi de reconnaitre les machines entre elles.

Pour se reconnaître entre elles, les machines utilisent une adresse IP. Il s’agit d’une suite de chiffres qui font office de « carte d’identité » ou de numéro d’identification. Un ordinateur possède ainsi une adresse IP qui lui est propre au même titre qu’un site internet par exemple.
Les adresses IP se présentent de cette façon : 218.95.135.170

Les sites internet ont aussi des adresses IP gérées par des serveurs DNS (Domain Name Server) qui indiquent à quelle adresse le site est publié. Ainsi, lorsque vous souhaitez afficher un site web dans votre navigateur, votre ordinateur interroge ce serveur afin de savoir où se situe l’URL (Uniform Resource Locator, par exemple : http://www.ajpbe-vbbjpp.eu) que vous souhaitez atteindre.

b) Serveurs et Protocoles
Revenons quelques instants sur ces serveurs. Nous évoquions précédemment le rôle des serveurs DNS dans l’établissement du « dialogue » entre site internet et ordinateur. Il existe de nombreux types de serveurs permettant de répondre à des requêtes précises.

Dans cet article nous nous intéresseront particulièrement aux serveurs en place lors du processus d’envoi d’email.

Les serveurs propres aux envois et réceptions de courriels, ont un fonctionnement similaire à celui de la Poste. Ils garantissent le formatage, le contrôle et le transfert du message de l’expéditeur au destinataire.

Les protocoles représentent les flux permettant à deux serveurs de communiquer entre eux. En fonction des requêtes et des serveurs, des protocoles particuliers sont utilisés. Par exemple pour l’envoi d’un mail on utilise le protocole SMTP (Simple Mail Transfer Protocol) tandis que pour récupérer un mail, c’est le protocole IMAP (Internet Message Access Protocol) ou POP (Post Office Protocol) qui prime.

Maintenant que nous avons bien saisi les différents acteurs dans un processus d’envoi de mail, il ne reste plus qu’à comprendre les étapes qui structurent cette action normalisée. Continuer la lecture

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Luxe, culture et ambitions, manuscrits de la Cour de Bourgogne à la KBR

texte et images D. LYSSE ©


Depuis la mi-septembre, on peut voir exposés à l’Albertine (ou KBR), au Mont-des-Arts à Bruxelles, une vaste sélection de manuscrits enluminés provenant de la cour de Bourgogne, dont la bibliothèque était une des plus fameuses d’Occident à la fin du Moyen-Âge.

Étrange destinée que celle des ducs de Bourgogne ! Issus d’une branche cadette de la famille royale française, sans espoir de régner jamais à Paris, ils avaient mis à profit les troubles de l’interminable Guerre de Cent ans pour tenter de se constituer un royaume personnel, entre Dijon et Bruxelles, capitales du leurs territoires du sud et du nord. Ils ont utilisé à cette fin tous les moyens du bord, licites et moins licites : mariages, diplomatie, guerres directes et indirectes. Ils se retrouvaient parfois alliés de l’une ou l’autre faction française, parfois liés aux Anglais, ou lorgnant du côté de l’Allemagne ou de la Suisse.

Ils entretenaient une propagande très active, où tenaient en bonne place le faste de la cour, la culture ou l’industrie du luxe. Leurs extravagances vestimentaires ou culinaires ont, un moment, donné le ton à toute l’Europe.

Les manuscrits exposés à l’Albertine nous offrent sur cet univers d’intrigues, de guerres et de prestige des vues inhabituelles, plutôt intimistes. Un livre copié à la main sur du parchemin est en effet d’une moins grande diffusion et d’un usage plus privé qu’un portrait officiel, qu’une représentation funéraire ou qu’un retable d’église. Il laisse donc une marge de liberté plus grande aux commanditaires et aux artistes.On le remarque d’emblée dans les marges décorées des textes et des vignettes, qui proposent à l’œil, avec une virtuosité joyeuse, toutes les chimères et tous les monstres qu’on peut attendre de la fin du Moyen-Âge, dans des lacis d’arabesques et de végétations de fantaisie (ill. 1). Mais le plus officiel des recueils de blasons peut, lui aussi, tourner au défilé fantastique, quand les écus sont surmontés de heaumes d’apparat ornés des animaux et des personnages les plus divers, de plumets interminables ou de crinières (ill. 2). Quant aux chapeaux des dames, ils n’avaient rien à leur envier (ill. 3) !

Les ouvrages religieux sont nombreux et, comme à Angers, l’apocalypse et sa promesse d’un jugement imminent des mauvais a fasciné et rassuré en ces époques troublées (ill. 4). La violence des temps transparaît également dans la sélection d’images civiles. On y voit des flagellants défiler en manifestant ostensiblement leur contrition pour demander au ciel que se termine la terrible peste noire du XIVe siècle (ce genre de médication finissait malheureusement parfois en pogroms et en massacres, pour évacuer sur les Juifs et autres étrangers ou marginaux la frustration de se trouver impuissants face à l’épidémie) (ill. 5). On voit aussi des batailles rangées, des corps à corps brutaux, ou alors des départs d’armées encore flamboyantes dans l’éclat du protocole.

On trouve, dans une autre section, un large témoignage de la vie littéraire de l’époque. Du beau et du moins beau monde. Le Roman de la Rose ou Christine de Pisan y côtoient Villon, le réprouvé, devenu « maître François Villon » pour l’occasion. L’anatomie apparaît sous forme d’une curieuse planche où chaque partie du corps est sous la gouverne d’un signe du zodiaque (ill. 6). L’histoire (romancée) comprend la geste d’Alexandre, où on le voit combattre un monstrueux « olifant à trois cornes » dans les lointains territoires orientaux (ill. 8). Et la géographie s’expose dans un volume énorme illustrant Ptolémée, où l’Afrique se peuple de lions, de girafes, de serpents, de pygmées batailleurs et aussi de dragons (ill.7) : sait-on jamais, puisque ces êtres ailés à écailles étaient attestés partout, il fallait bien qu’ils aient vécu quelque part…

La présentation de toutes ces œuvres de taille réduite est impeccable et, c’est bien un des rares bénéfices du coronavirus, on aura tout le loisir de les admirer en cette fin d’année : les visiteurs sont admis au compte-goutte pour éviter la contagion. On ne se bousculera donc jamais devant les pages ornementées.

Seul petit bémol : les commentaires qu’on peut obtenir en touchant un écran avec un badge sont désespérément lents à apparaître, ce qui décourage leur consultation systématique. À cette réserve près, c’est un extraordinaire voyage dans le temps qui s’offre là, vers une époque où la culture, grande ou petite, a fait office d’étendard (et parfois d’ersatz) pour un projet politique jamais bien assuré, qui s’effondrera après quelques générations prestigieuses.

Nb : Pour mieux apprécier le détail d’une photo, appuyez dessus avec la souris et elle s’affichera dans une autre fenêtre de votre navigateur.

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Georges Hacquin a pris son dernier départ ce 8 avril 2020 !

Pour lire tout le texte rédigé par Ingrid De Jonge appuyer ici

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Le Trésor d’Oignies, témoin de trois vies hors du commun

Texte et photos : D. Lysse

Le Trésor d’Oignies, classé parmi les « sept merveilles de Belgique », a longtemps été hébergé dans un endroit totalement confidentiel, dans une salle du couvent des Sœurs de Notre-Dame, à Namur. Le lieu, pas très adapté, mais avec le charme intimiste des recoins un peu secrets, avait été surnommée par dérision « le plus petit musée du pays ». Cédé à la Fondation Roi Baudoin en 2010, cet ensemble d’orfèvrerie du XIIIe siècle, comprenant une quarantaine de pièces en lien avec le même artiste, est maintenant exposé dans des conditions optimales, au Musée des Arts anciens du Namurois (ill. 1).

En plus de sa grande qualité artistique, la particularité de cet travail resplendissant d’or et de pierreries est qu’il nous offre la trace tangible et concrète de plusieurs trajectoires totalement exceptionnelles, d’autant plus exceptionnelles que les intéressés ne faisaient pas partie des puissants. Au fil des vitrines et des panneaux ou écrans explicatifs, on est ainsi amené à se pencher sur la vie de trois personnes qui ont su forger leur destinée propre dans une société féodale qui ne faisait pas toujours grand cas de la liberté individuelle.

La première de ces personnalités hors normes est une Nivelloise, une certaine Marie. Elle fait partie de cette bourgeoisie urbaine qui commence à s’émanciper de la tutelle de l’aristocratie militaire. Depuis très jeune, Marie se sent une vocation mystique, mais, au XIIe siècle, une jeune fille ne décide pas de son destin. Elle a toutefois du caractère, elle sait ce qu’elle veut et elle arrive rapidement à convaincre l’époux qu’on lui a donné de vivre chastement et de se dévouer avec elle aux soins aux malades, surtout aux lépreux, sujets d’horreur pour tous, en ces temps où l’on était démuni devant la contagion.

Elle s’impose une vie quotidienne faite de privations extraordinaires en l’honneur du Christ et consacre ses moments libres à la prière et à la contemplation. Sa réputation de simplicité et de sainteté, ainsi que les guérisons miraculeuses qu’on lui attribue peu à peu, lui attirent beaucoup de monde, ce qui finit par créer du désordre. Avec l’accord de son mari, elle se retire alors dans un petit béguinage, à Oignies. Remarquons au passage que le béguinage était l’endroit, dans nos contrées, où la femme vivait alors le plus librement, sans les règles et la hiérarchie stricte du couvent, et aussi loin que possible de la tyrannie masculine.

C’est ici qu’intervient le deuxième personnage de ce trio : un certain Jacques, né à Vitry, étudiant en théologie à Paris (ill.2 : la crosse de Jacques de Vitry). Attiré par la réputation de la sainte et par le récit de ses miracles, il délaisse les controverses savantes de la capitale française pour s’installer à Oignies et vivre la religion de manière plus intense, moins froidement intellectuelle que dans les écoles. Il reste attaché au lieu aussi longtemps que vit la sainte, qui le convainc toutefois de terminer son cursus et d’être ordonné prêtre pendant cette période. Après le décès de son inspiratrice, il rédige une biographie de Marie.

Mais Jacques de Vitry n’a pas vraiment le tempérament contemplatif de Marie. Au vu de leurs carrières respectives, on peut même supposer qu’elle le fascine plutôt par attraction des contraires. Il est pieux, mais sa religion à lui doit être vécue dans l’action, en pesant concrètement sur le cours du monde. Plutôt que de martyriser son corps pour essayer de venir à bout du diable et du péché originel biblique en lui-même, il préfère combattre le diable à l’extérieur, sous la forme des ennemis de la foi.

On le retrouve d’abord dans le nord de la France, à prêcher la croisade contre les Albigeois, puis il prêche un peu partout la cinquième croisade, vers ce Moyen-Orient où se trouvent les lieux saints chrétiens. Il se révèle excellent prêcheur. Il est passionné, enflammé, et surtout, de façon très novatrice pour le clergé de l’époque, il adapte son niveau de langue à son public, il s’exprime dans un langage imagé, accessible, nourri d’anecdotes et de fables, bien propre à émouvoir des groupes et des grandes assemblées. Sa réputation s’accroît vite et, de promotion en promotion, il est nommé évêque d’Acre, en Palestine, où l’Eglise a besoin de telles personnalités charismatiques, tournées vers l’action, et où sa fougue et ses initiatives perpétuelles risquent moins de créer du désordre.

En Orient, il déploie son énergie habituelle, il circule jusqu’en Egypte pour prêcher dans les enclaves chrétiennes, il chevauche avec les armées. Après une dizaine d’années et la déconfiture de l’expédition militaire, il écrit un livre sur ses expériences et ses voyages, et il obtient de pouvoir revenir en Europe. Après quelques nouveaux épisodes mouvementés, il finira sagement cardinal en Italie. A son décès, à Rome, il demandera à être enterré à Oignies, à côté de Marie, et il lèguera ses effets personnels au prieuré, qu’il n’avait cessé, sa carrière durant, d’approvisionner en moyens financiers, en reliques et en matériaux divers, pour rendre plus illustre le lieu où vécut la mystique nivelloise.

A partir de 1222 et jusqu’après la mort de Jacques de Vitry en 1240, une question se pose au prieuré d’Oignies, qui est un petit patelin en pleine campagne, pas loin de Namur : comment gérer cet afflux de richesses, d’argent, d’or, de reliques, de pierreries et de curiosités exotiques, émaux et verres byzantins, égyptiens ou syriens ? A qui confier la fabrication des châsses, reliquaires et objets liturgiques souhaités par Jacques de Vitry ? (Ill. 3) C’est là qu’intervient le troisième personnage, lui aussi sorti à peu près de nulle part : frère Hugo.

Il est de la noblesse, lui : cadet des seigneurs de Walcourt, mais de cette noblesse trop peu importante pour pouvoir offrir titres et apanages à tous ses cadets. Il se retrouve donc religieux à Oignies, dans un prieuré fondé et doté par son frère aîné. C’est quelqu’un de lettré, qui a acquis les connaissances nécessaires pour le poste qu’il va occuper, et il a visiblement suivi une formation complémentaire plutôt pratique, tournée vers l’orfèvrerie et l’enluminure, quelque part dans la région mosane.

Il n’a pas un tempérament mystique comme Marie, il n’imaginerait sans doute pas faire des miracles par des débordements de piété, mais ce n’est pas non plus un homme d’action, un caractère tempétueux et flamboyant, comme Jacques de Vitry, qui se serait morfondu de se retrouver ainsi enfermé dans une étroite carrière ecclésiastique dans un petit établissement rural. Hugo honore le ciel à sa façon, par l’esthétique, en ornant des manuscrits de la Bible et du matériel liturgique. (ill. 4) Une voie qu’avait prônée, un peu plus tôt, en France, Suger, abbé de Saint-Denis, constructeur de la toute première cathédrale gothique, qui devait se défendre d’accusations de distraire le fidèle en frivolités et de dilapider les moyens et les énergies en dépenses de luxe.

Le frère Hugo est conscient de la très grande beauté de ses réalisations, il signe fièrement ses plus belles pièces ou même s’y représente les offrant au Seigneur. Mais il n’est pas snob ni à l’affût de la mode. Il ne se veut ni l’ambassadeur ni le promoteur des dernières nouveautés de l’iconographie et de la technique, comme a pu l’être Suger, toujours à la pointe de l’avant-garde. Son écolage à lui est un peu daté, provincial, archaïsant, encore proche du roman, et son art sera la dernière grande réalisation, dans la région, de l’orfèvrerie venue du temps lointains des tribus germaniques, qui privilégiaient le remplissage, les cabochons brillants, les marqueteries de pierres ou d’émaux de couleur, les monstres bizarres, les entrelacs et les rinceaux. (ill. 5)

Pas trop loin d’Oignies, les œuvres de Nicolas de Verdun, visibles dans la cathédrale de Tournai ou dans celle de Cologne, réalisées une génération ou deux avant celle d’Hugo, sont beaucoup plus modernes, avec leurs grands personnages qui tendent à se libérer du fond, posés dans des espaces architecturés où l’ornementation reste subordonnée. Hugo ne les a pas vues, ou alors il a senti que ce n’était pas sa voie, que rien ne servait d’essayer de monter à toute force dans le train en marche. Mais ce n’est pas un conservateur dogmatique pour autant : il ne se montre pas hostile à la nouveauté, il en prend seulement ce qu’il peut assimiler. Au fil des ans, il voit probablement passer des manuscrits, des petites statues et des autels portatifs ornementés dans le goût nouveau et il sait s’adapter, avec son atelier, pour produire des pièces gracieuses, purement gothiques, comme cette merveilleuse colombe destinée à recevoir une relique un peu insolite liée au lait de la Vierge (voir ill. 1).

Ceci dit, l’essentiel de l’art d’Hugo est ailleurs, et il s’y tient. Il est expert pour trouver un équilibre entre la forme générale de sa pièce et la tentation de l’enrichir de façon tape-à-l’oeil en la couvrant de pierreries, d’émaux ou de camées de récupération. Il va exceller dans les dessins sur des plaques d’argent niellées et dans les estampages (ill. 6). Mais

© Musée des Arts anciens du Namurois

surtout, il va porter à un degré extraordinaire la science des filigranes, des ornements en spirales et en vrilles, en motifs filiformes couverts de gouttelettes de métal doré qui les feront resplendir en renvoyant la lumière de tous les côtés. De loin, toute cette dorure s’unifie sans rompre l’agencement de l’ensemble, et il faut approcher pour y retrouver cachés de minuscules scènes de chasse, des plantes et des animaux familiers, des petits personnages. (ill. 7)

Ce soin presque maniaque dans les détails et cet équilibre parfait entre la composition générale et les ornements ont engendré une des manifestations les plus raffinées de l’orfèvrerie « barbare » qui était venue de la steppe avec les grandes invasions. Mais c’est aussi son chant du cygne : quand l’atelier d’Oignies s’éteindra avec la disparition des finances de Jacques de Vitry et avec celle d’Hugo, la tradition de l’ornementation pure s’évanouira peu à peu en Occident. (Ill. 8 et 9) Le gothique, même flamboyant, soumettra ses extravagantes volutes à l’architecture, et les figurations humaines ou animales, de plus en plus en plus indépendantes, y demanderont vite des représentations de l’espace moins compactes, moins encombrées, moins saturées de la lumière dorée du Royaume des Cieux, un espace où l’air du monde civil peut circuler.

Sans l’art du frère Hugo, la mémoire de Jacques de Vitry se serait sans doute étiolée, et sans les exploits et l’énergie de Jacques, il n’y aurait pas eu Hugo. Et sans Marie, aucun des deux n’aurait jamais été ce qu’il fut. Mais chacun, à sa manière, dans son domaine, a réalisé son destin avec une forme d’honnêteté inébranlable vis-à-vis de son être profond et avec une incroyable perfection, en un temps et en des lieux qui laissaient pourtant très peu de place à l’aventure individuelle pour ceux qui n’étaient pas issus des milieux les plus aisés.

C’est ce qui rend la collection du musée de Namur unique, touchante, au-delà de sa richesse d’apparence : loin d’être un assemblage anonyme d’objets de luxe venus d’un très lointain passé, elle est un témoignage vivant, personnalisé, de la diversité des destinées possibles. Elle témoigne aussi des liens étroits que des caractères que tout semble opposer peuvent parfois tisser entre eux pour se grandir les uns les autres. Accessoirement, elle souligne la complexité de l’aventure humaine, elle force à méditer sur les relations étranges qui peuvent lier la mystique la plus contemplative, à la limite de l’auto-destruction, l’aventure politico-militaire, à la limite de la destruction du voisin, et les aboutissements purement esthétiques, quand l’un semble mystérieusement engendrer ou faire éclore l’autre.

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Maison du Roi et Musée de l’Erotisme

Texte et photos : D. Lysse

Pour agrémenter une balade au coeur de Bruxelles, entre la Grand-Place et le Sablon, voici deux propositions de visites de musées d’une taille relativement modeste, dans des registres totalement opposés : l’un est plus classique et présente des documents variés relatant l’histoire mouvementée de la capitale, l’autre est plus imprévu et montre une vaste collection centrée sur l’érotisme.

Le premier, appelé familièrement la « Maison de Roi », n’est plus à présenter. Sa pittoresque silhouette néo-gothique, face à l’hôtel de ville, est connue de tous ceux qui ont mis le pied à la Grand-Place (ill. 1). Mais si tous les Bruxellois et beaucoup de Belges en connaissent la façade, peu en poussent la porte : on visite plutôt des musées en voyage ou en excursion, quand on a des loisirs, mais rarement près de chez soi, où d’autres urgences et propositions nous accaparent. L’édifice abrite pourtant un établissement public attachant, le « Musée de la Ville de Bruxelles ».

Pour ceux qui aiment l’architecture, l’occasion leur sera donnée de retrouver ici les originaux de beaucoup de ces éléments de décoration que les touristes prennent volontiers en photo, à la Grand-Place ou ailleurs dans la capitale, mais qui sont le plus souvent des copies du 19e ou du 20e siècle, réalisées pour prendre la place d’œuvres abîmées ou devenues trop fragiles.

C’est dans la Maison du Roi qu’on peut ainsi voir l’authentique Saint-Michel du sommet de l’hôtel de ville, remplacé lors de la restauration récente, ou certains ornements baroques qui ont dû être reconstitués sur les façades des maisons des corporations, ou alors, plus étranges, quelques unes des figures grotesques qui soutiennent la corniche du chœur roman de Notre-Dame de la Chapelle, la plus ancienne église de Bruxelles (ill. 2).

On peut aussi y apprendre la signification de plusieurs des représentations pittoresques qui ornent les socles des statues et les chapiteaux de l’hôtel de ville. De façon assez amusante, ces sculptures ne font référence à aucun programme ambitieux, politique ou éducatif. Elles évoquent plutôt les noms de différents cabarets qui étaient logés dans les caves de l’hôtel de ville ou bien dans les maisons expropriées pour la construction de la tour et de l’aile droite.

Si on voit sur la façade de ce prestigieux bâtiment officiel tant de moines qui boivent et qui ripaillent (ill. 3), c’est parce qu’il y avait là un bistrot portant un nom du genre « la cave des moines ». De même pour le chapiteau avec des Noirs en turban : il surplombait l’emplacement de la « taverne du maure ». Le curieux chapiteau où des gens manipulent des chaises avec des pelles (ill. 4) serait, lui, issu d’un jeu de mots en flamand sur le supplice de l’estrapade, qui se pratiquait, semble-t-il, à peu près en face de cet endroit. On voit que l’art de Brueghel, avec ses proverbes, sa verve populaire et ses jeux de mots soigneusement illustrés, a des racines très profondes.

L’estrapade, soit dit en passant, consistait à jeter du haut d’un mât un condamné, en lui attachant les bras derrière le dos avec une corde reliée au sommet du mât. Cette corde empêchait le malheureux de s’écraser au sol mais lui déboîtait les épaules et lui arrachait à moitié les bras au passage, puis le bonhomme était remonté et jeté à bas autant de fois que le jugement l’avait prescrit. Il y avait des variantes où l’arrachage des épaules s’effectuait à l’aide de machineries : on faisait (et on fixait dans la pierre) des jeux de mots et des blagues à propos de choses bien étranges, au 15e siècle !

Au fil d’autres salles, sont évoquées l’apparition, la floraison puis, souvent, la disparition de divers artisanats et industries de luxe qui ont fait, en leurs temps, la renommée et la richesse de la ville : tapisseries, retables ou porcelaines. On suit également, grâce à des plans, peintures et maquettes, les grands travaux d’urbanisme aux époques des ducs de Bourgogne, de Charles de Lorraine, du voûtement de la Senne ou du creusement de la jonction ferroviaire Nord-Midi. Dans un registre plus tragique, on voit aussi les souvenirs des grandes catastrophes qui ont contribué à modeler le paysage urbain : la destruction de la ville basse, populaire, par Louis XIV, en 1695, ou l’incendie, accidentel, celui-là, du vaste palais des ducs de Bourgogne, dans la ville haute, seigneuriale, en 1731.

La visite constitue une manière agréable de reparcourir en pensée des lieux connus, de les voir changer avec les époques, avec les grands décisions d’urbanisme et les accidents historiques, les guerres ou les incendies. C’est l’occasion de redécouvrir la ville et de la regarder d’un autre œil. Continuer la lecture

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De Bruxelles à Beersel et Hal

Vers un joyau gothique, le long du canal.

1° Bassin de batelage.
© D. Lysse

Pour ceux qui veulent marcher aux environs de la capitale, on peut recommander d’aller de Bruxelles à Hal, le long du canal. Cela représente une quinzaine de kilomètres. Le départ de la promenade se fait au square Vandervelde, un nœud de lignes de bus et de trams, à Anderlecht. Il faut alors longer à distance, pendant quelques centaines de mètres, le vaste bassin de Batelage (ill. 1), en contournant des entrepôts, puis on se retrouve au bord de l’eau jusqu’au bout du trajet. Attention, il faut prendre la rive droite en quittant Bruxelles : le chemin de halage à gauche est actuellement en travaux sur la plus grande partie du trajet.

Le canal vers Lot.
© D. Lysse

Après quelques kilomètres, la voirie est réservée exclusivement aux piétons et aux cyclistes. Très urbain et industriel au début, le paysage se fait plus bucolique à mesure qu’on avance (ill. 2), le parcours étant rythmé par la succession des écluses. Pour les bons marcheurs (munis d’une carte routière), une extension de la promenade est possible à l’écluse de Lot, jusqu’au château de Beersel, situé à deux kilomètres et demi 

Château de Beersel.
© D. Lysse

seulement, du côté gauche. Le bâtiment date du moyen-âge, il est quasiment vide à l’intérieur et vaut surtout pour le coup d’œil, pour sa silhouette pittoresque, en briques rouges (ill. 3), et pour la campagne environnante, particulièrement jolie et sillonnée de chemins balisés.

Arrivée à Hal.
© D. Lysse

En arrivant à Hal, le dernier kilomètre du chemin de halage est le plus beau. Il est resté pavé, bordé de hauts arbres, avec la tour de la collégiale qui se profile au bout de la perspective (ill. 4). Ceux qui sont fatigués de la marche ou pressés de rentrer à Bruxelles trouveront la gare le long du canal. On ne saurait assez recommander aux autres de visiter la Basilique Saint-Martin

Basilique Saint-Martin de Hal.

de Hal, une très ancienne église de pèlerinage, qui reçut au fil des siècles de nombreuses donations, et dont la décoration gothique est l’une des plus riches parmi les églises du Brabant (ill. 5).

La tour de la Basilique de Hal.
© D. Lysse

L’édifice a eu la chance de ne pas avoir subi les saccages d’œuvres d’art qui ont accompagné, au XVIe siècle, la période iconoclaste protestante. On voit encore, sous la tour, à droite en entrant, les boulets de canon envoyés par une petite armée protestante bruxelloise, qui a fini par se décourager devant la résistance locale. Ce retrait fut attribué à l’action protectrice de la vierge miraculeuse, une statue de la vierge allaitante apportée au XIIIe siècle par Elisabeth de Hongrie,

6° la Vierge miraculeuse.
© D. Lysse

belle-mère d’un duc de Brabant de l’époque. La statue, dit la légende, en serait restée noircie par la fumée des canons dont elle interceptait les projectiles (ill. 6).

7° détail à l’extérieur.
© D. Lysse

A l’extérieur comme à l’intérieur de l’église, la décoration est très riche. Dehors, c’est une douce et gracieuse vierge gothique qui accueillait les pèlerins au milieu du portail à droite de la tour. Mais, tout autour de l’édifice, il faut aussi observer ces socles pour statues, qu’on appelle cul-de-lampes. La tradition voulait que l’imagerie intérieure d’une église évoque seulement le sacré, le ciel et les enseignements moraux. Mais à l’extérieur, la décoration était plus libre d’évoquer le monde trivial, ce monde où les fidèles sont tentés ou effrayés par les mille inventions du diable, ce qui permettait aux sculpteurs de laisser voguer beaucoup plus librement leur imagination (ill. 7).

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‘The quaint quarantine’: ‘My God, I see everything is better here than in Europe’

TTO – Vietnam tour was turned upside down because of COVID-19 but in return, many foreign visitors received a surprise: many business owners welcomed and isolated them in luxurious resorts.

© THAI BA DUNG A group of French and Belgian tourists of 18 people today are isolated in a private resort at 252 Cua Dai, Hoi An – Photo: BD

For many days, the 5-star Hoa Co resort is located at 252 Cua Dai Street, Hoi An Ancient Town (Quang Nam).
« Happy isolation »
10am, 18 guests gather in the pool area next to the spacious villas, flowers blooming aisle. One holds a book lying by the pool to relax, another holds the phone to capture the funny « isolation » moment of your friends. Under the pool another group of people dived. At first glance, no one thought that the European visitors were being quarantined because of the COVID-19 epidemic.

© THAI BA DUNG 4-star resort Hoi An Beach at 1 Cua Dai (Hoi An) is one of 3 high-end resorts used as a place to isolate foreign guests because of COVID-19 – Photo: BD

« We went through very different moments. From the excitement of coming to Vietnam to the anxiety of knowing we were flying with people infected with COVID-19. But by this time it was really lucky because at least We are still resting in a luxurious place « – said Jan Bleyenberg – Head of 18 guests from Europe.
According to Jan, his friends are mostly retired. The group schedule a flight together to Hanoi, enter Hue and plan to visit Hoi An, Da Nang, Ho Chi Minh City and then stop the last leg at Phnom Penh (Cambodia) to end the holiday.
But everything suddenly changed when the flight from Europe to Hanoi on 9-3 had COVID-19.

© THAI BA DUNG Incredibly surprised by being isolated in the resort for free, the European group cheered and applauded to thank the owner of the property, Mr. Nguyen Thanh Sang (far right) – Photo: BD

A few days after coming to Vietnam, while in Hue, the delegation was informed by the authorities to be isolated. Everyone was shocked but forced to follow the guide to Hoi An.
« I will honor you and Vietnam on the front page »
Interestingly, the team leader Jan Bleyenberg was a journalist. He has just retired and is currently an advisory member of the Belgian Journalists Association. Witnessing what in Vietnam that he and 17 friends are going through, Mr. Jan hugged Hoa Co resort owner Mr. Nguyen Thanh Sang and shouted: « Great Vietnam! My God, even I see here every things are better than Europe, the weather is nice, the food is good, the quarantine is luxurious, there is a swimming pool, luxurious rooms and we don’t feel any trouble other than being a little inconvenient. go out for a walk.  »
Mr. Jan looked at the owner of Hoa Co resort and promised: « Back to Belgium I will have an article and a photo of you on the front page of the newspaper that I am working with. We will never forget this special trip. » .

© THAI BA DUNG Isolation at the resort for foreigners in Hoi An – Photo: BD

Hoa Co is one of two privately-owned luxury resorts in Hoi An that is welcoming foreign guests influenced by COVID-19 into isolation. Mr. Nguyen Thanh Sang said everything started from 3am on 12-3. A group of British tourists come to Quang Nam to travel and fly on flight VN0054. When leaving Quang Nam, this group of tourists was refused to leave Danang.
« Around 2-3 am, I was sleeping when a leader of Hoi An City called me to offer to open the resort to accept the other 4 British guests because all the other resorts refused » – Mr. Sang said.

© THAI BA DUNG European group with the owner of Hoa Co resort – a place to receive free isolation and take a group photo

Twilight on the morning of 12-3, the bus carrying 4 guests to serve the delegation was to Hoa Co resort. Mr. Sang said from the time of arrival, his staff had helped them settle down, the 3 most spacious and luxurious villas that had been reserved by the guests – reserved for 4 British guests and the group members. glass.

 

© THAI BA DUNG Relaxing, working and chatting place of isolated guests in Hoa Co resort (Hoi An) – Photo: BD

 

But not only this group, two or three days later the Hoi An government asked him to open the room with 18 guests from Belgium, France and three members of the delegation to stay in Hoi An in isolation.
Without hesitation, once again Hoa Co resort opened its door to welcome the poor guests. The days of « stuck » in Hoi An, although not out, but all guests in isolation were dedicated service is no different than in a luxury vacation.

© THAI BA DUNG Luxury isolation area and fun, like a holiday – Photo: BD

« They are so poor. I said nothing but complained and asked nothing. When they left the hotel, they left a letter to express their gratitude. They said they would never forget where they were staying, » Can not forget Hoi An was pregnant and one day they will come back « – Mr. Sang said.
Set aside the best place to « offset » stormy trips for guests
Along with the story of Mr. Nguyen Thanh Sang, dozens of foreign guests « trapped » by COVID-19 are also being welcomed and served at a high-class resort in the coconut forest of Cam Thanh commune (Hoi An).
This is a luxury resort, the average cost per room from 1 to 1.5 million. However, the owner has decided to accept foreign guests to quarantine and care here. From the moment guests arrive, there are always people around, blocking to disinfect and protect people from entering and leaving.

© THAI BA DUNG Coco River Resort Hoi An luxury resort also voluntarily opened to welcome international visitors into isolation – Photo: BD

At the preliminary meeting of the 10-day peak on anti-epidemic, Quang Nam People’s Committee Chairman Le Tri Thanh said – these difficult times need people, businesses and the government to open arms to support tourists. .
« The tourists themselves come to Hoi An to travel, when normally they bring jobs. Now in the epidemic they have suffered a lot of damage, so we have to welcome them to take part of the damage. show your heart « – Mr. Thanh said.

 

THAI BA DUNG

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A la recherche de l’Adjudant Bourgois du 19ème BCP

Un peu partout en Belgique, comme ailleurs, plusieurs cérémonies sont organisées, le 11 novembre, en présence d’autorités civiles et militaires. La majorité des reportages et autres articles de presse vont relater ces événements en ayant une pensée pour les anciens combattants qui ont participé à cette grande boucherie qu’a été la première guerre mondiale.
Pour tous ces jeunes gens cela devait être la « der des der », c’était sans compter sur une bande d’idiots n’ayant pas digéré la victoire des Alliés et le Traité de Versailles. La seconde guerre mondiale couvait déjà…

En parlant de « pensée pour les combattants de 1914 – 1918 », un nom me revient en mémoire, celui de l’Adjudant Bourgeois du 19ème Bataillon de Chasseurs à Pied. Cette unité française est venue, à cette époque, combattre dans notre beau Royaume.
J’ai passé beaucoup de temps avec cet Adjudant, voici pourquoi…

Le carnet de marche du 19ème BCP nous apprend qu’il est arrivé en Belgique par Adinkerke le 22 octobre 1914 :
« – Ypres est abordée en pleine nuit. Les habitants ont fui sous le premier bombardement, la ville est complètement déserte, le quartier de la gare brûle, des lueurs d’incendies inondent le ciel jusqu’aux abords de la cathédrale, au-dessus de nos têtes sifflent, en passant, les obus ».
Ainsi vue, avec ses halles sinistrement éclairées, la célèbre place d’Ypres revêt, dans cette nuit d’horreur, un aspect d’une grandeur tragique et impressionnante, que n’ont jamais pu oublier ceux qui en furent les témoins. Au grand jour seulement le 19ème BCP atteint Kruisstraathoek. Il y prend quelques heures de repos, puis, à midi, se remet en route, par Dickebusch, pour Mille-Kruis, il y passera la nuit du 9 au 10 novembre 1914 ».

Quelques pages plus loin, nous lisons ceci :
«L’offensive ennemie du 10 novembre avait rejeté tous nos éléments de la rive droite, nous recevons mission de nous y rétablir, et, quand nous quitterons Steenstraat, le 29, la tête de pont face à Bixschoot sera reconstituée, avec quatre compagnies sur la rive droite».
A cette époque toute la 42ème D.I. se porte vers Ypres, le 19ème BCP marchant par Elverdinghe, Poperinghe, puis Vlamertinghe. Zillebeke – Dans les premiers jours de décembre, elle est en avant de Zillebeke, entre la route de Menin et celle d’Armentières. Vie de secteur active, pénible, sans repos, avec des tranchées encore rudimentaires, profondes en première ligne, mais sans boyaux, sans abris, et de l’eau partout. Le bataillon est d’abord dans les bois à l’est de Zillebeke (Butte aux Anglais), les opérations s’y multiplient, visant principalement le fortin de la côte 60. Au cours de l’une d’elles, le 17 décembre, l’héroïque adjudant Bourgeois, de la 1ère compagnie, illustre glorieusement la belle devise du bataillon : il emmène sa section à l’assaut au cri de « En avant toujours ». Il tombera aussitôt, mortellement frappé, et il achèvera le « Repos ailleurs ».

A cette époque, les français avaient ouvert un hôpital militaire dans la ferme Quaghebeur, du nom du fermier, à quelques kilomètres de là, à Poperinghe. Connut aujourd’hui sous le nom de Lijssenthoek Military Cemetery.  En effet après la France, cet hôpital fût agrandi par les Anglais. Il y a eu plus de 4000 lits. Un cimetière militaire fût ouvert devant la ferme où furent enterrés 10.784 militaires de 30 nationalités.
C’est à cet endroit que l’Adjudant Bourgeois a été évacué et y est mort quelques jours plus tard. Ensuite…. Son corps a disparu. Impossible de le retrouver.

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L’APOCALYPSE D’ANGERS

(Dominique Lysse)

ill1, l’Apocalypse d’Angers, vue générale

Quand on passe par Angers, il est d’usage d’aller y voir la tapisserie de l’Apocalypse. La visite peut être recommandée sans hésitation, même à ceux qui fréquentent peu les musées. L’œuvre est impressionnante : plus de cent mètres, sur deux registres, où sont illustrés en grand format les bruits et les fureurs qui accompagneront la punition des méchants et la récompense des bons à la fin du monde (ill. 1). Tous les âges, depuis les adultes et les érudits jusqu’aux enfants et aux adolescents, trouvent à regarder dans cette bande dessinée géante, pleine de fléaux, de monstres horrifiants et de tremblements de terre, encadrée d’anges musiciens, de petites fleurs et de petits lapins (ill. 2, 3).

La fascination qu’exerce ce travail gigantesque n’est pas très étonnante : le genre apocalyptique a le vent en poupe, actuellement, dans la littérature, le cinéma, les forums en ligne ou la propagande politique. Réchauffement du climat, surpopulation galopante, pollution des milieux naturels, perte de la biodiversité, migrations humaines désordonnées, bouleversements technologiques aux conséquences incontrôlables, sans parler de moins probables chutes de météores géantes et invasions de martiens, permettent un large éventail de spéculations sur de possibles fin du monde, ou, au moins, du monde tel que nous le connaissons.

ill2, la bête à la tête blessée

ill3, chute de Babylone (détail)

 

 

 

 

 

 

On n’a pas attendu notre époque pour mettre en scène, dans des récits exemplaires, les inquiétudes des peuples. Mais, par contraste avec nos angoisses contemporaines, ce qui frappe dans l’Apocalypse d’Angers, comme d’ailleurs dans les Apocalypses juives et chrétiennes dont elle dérive, c’est leur côté fondamentalement optimiste. Cela peut paraitre bizarre ou paradoxal pour des récits consacrés à la destruction universelle : malgré la succession de cataclysmes qu’elles relatent avec beaucoup de complaisance, les diverses Apocalypses sont pourtant des œuvres qui ont été conçues et réalisées pour remonter le moral des troupes dans des temps d’adversité. Regardons cela de plus près.

Dans les écritures juives

Le modèle de tous ces récits est sans doute le livre de Daniel, un texte rédigé en Palestine à l’époque où des souverains d’origine grecque, successeurs d’Alexandre le Grand, gouvernaient le Proche-Orient. Pour unifier leurs possessions, les nouveaux maitres menaient une politique d’hellénisation des différents peuples sous leur domination.

En répandant la culture grecque, ils donnaient à leurs administrés l’accès à des sciences et des techniques perfectionnées, à une langue de large diffusion ainsi qu’à des possibilités d’enrichissement lié au commerce international à très grande échelle. Cela leur permettait de se rallier assez facilement les élites et les marchands des différents territoires sous leur juridiction. Par contre, ils s’attiraient souvent la haine des clergés locaux, marginalisés et dépossédés de leur influence exclusive sur une société devenue cosmopolite. Il en allait régulièrement de même avec le petit peuple urbain et les habitants des campagnes, qui ne partageaient que de très loin l’éducation et la culture nouvelles, qui bénéficiaient peu des fruits de l’internationalisation, et qui étaient les premiers à souffrir en cas de problèmes économiques ou politiques aux causes parfois lointaines.

À Jérusalem et dans les territoires environnants, vers l’an 167 avant notre ère, un des souverains séleucides, Antiochos IV, dit « Épiphane », dans une volonté de diffuser la culture grecque de façon accélérée, avait fini par imposer la religion syncrétiste internationale comme une obligation légale. Il avait également proscrit le monothéisme juif, à la source d’un large mouvement de résistance : ses fêtes avaient été interdites, ses zélateurs les plus marquants étaient poursuivis, et le temple sur la montagne de Sion avait été réquisitionné pour le culte officiel. Avec un sens de la provocation et une maladresse remarquables, Antiochos avait même prescrit qu’on y fasse des sacrifices et des offrandes de viande de porc, provoquant finalement un soulèvement du peuple. La répression s’était abattue durement sur toute résistance, qu’elle soit plutôt de type religieux ou plutôt politique, ethnique ou nationaliste, ce qui, à l’époque (et encore maintenant…), était difficile à distinguer.

C’est à ce moment que parut un livre attribué à un prophète beaucoup plus ancien, Daniel, qui aurait vécu au temps de l’exil à Babylone, où étaient relatés, sous forme de rêves et de visions, la chute de Babylone, l’arrivée des Mèdes, des Perses puis des Grecs, puis, comme par hasard, l’essor d’un souverain grec particulièrement pernicieux. Ensuite, au moment où les forces étrangères et mauvaises semblaient triompher définitivement, l’auteur plaçait l’intervention divine, l’arrivée d’un « fils d’homme » envoyé par Dieu, qui ruinerait les grands empires, punirait les puissants et rétablirait les justes qui avaient gardé leur foi et leur identité à travers les persécutions.

Dans ce texte allégorique, aucun pouvoir n’était désigné clairement, par son nom ou par un autre signe directement reconnaissable : ils y apparaissaient sous la forme symbolique de statues qui surplombent le monde puis s’effondrent, d’arbres qui deviennent immenses puis finissent abattus, de bêtes monstrueuses, aux têtes multiples garnies de cornes douées d’une vie propre, qui dominent un moment les nations puis qui courent à leur perte. Les détails pratiques concernant cette chute des puissants, qui ne pourrait manquer de survenir, étaient gardés secrets, cachés dans un livre scellé. L’essentiel du message était ailleurs, dans la certitude de la fin prochaine des tribulations. L’actuel triomphe des méchants n’était qu’une part d’un plan divin concernant l’Histoire. Cette révélation (apocalypse signifie révélation en grec) devait permettre aux fidèles de retrouver courage et espoir dans l’adversité.

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