ÊTRE ARTISTE AUJOURD’HUI…

© Texte et images Mireille Dabée 03-2024

Comment vivre l’art ?

Être artiste ?

Que de questions pour simplement vivre et vivre d’art.

Au jour le jour, tant pour soi, pour se construire, que pour l’autre. Pour partager avec l’autre. L’autre qui vient à soi, qui cherche à comprendre l’œuvre qu’il découvre, le projet que l’artiste propose. L’autre avec qui l’artiste parle de sa démarche, de son projet, qui hésite et pose des questions, sensible aux couleurs, aux formes, aux matières, à la composition, qui reste perplexe aussi quand il n’entre pas dans l’univers exposé.

Être artiste, c’est ne pouvoir faire autrement que de donner à voir, et peindre, dessiner, sculpter sans relâche.

Recommencer sans cesse et sans relâche le geste qui mène à la meilleure expression d’une pensée, d’un ressenti, d’une impression.

Ainsi, ai-je un jour voulu comprendre les chemins du langage, de la création des signes, des lettres, des idéogrammes, des calligrammes, à l’origine des liens entre les humains. L’origine du monde des hommes, peut-être sapiens et si peu sages en fait. Ces lettres qui font des mots, ces mots qui font des phrases, ces phrases qui font pensée et peut-être humanité.

Sur ces lettres toutes faites que la société nous donne pour nous comprendre, je dessine à l’encre de Chine les mots cachés de ma vie brisée, les « cryptographies » où je conte mes errances et mes fêlures, en signes illisibles aux yeux des autres, qui n’en ont pas les codes. Et, dans ce monde où tout est code, si on n’en comprend pas le sens, rien ne peut nous mettre sur le chemin de la vie des autres.

Codes binaires, codes informatiques, codes linguistiques, codes ADN, codes viraux, codes partout sans quoi rien n’existe.

Quand les hommes communiquent entre eux, ils usent de la parole, des mots, des phrases. Mais, à chaque langue, à chaque écriture, une nouvelle énigme. Le même mot d’une même langue, d’une même écriture, donné à plusieurs personnes aura une définition différente pour chacun, qui le comprendra au travers de ses propres expériences de vie.
Comment s’étonner que naissent tant et tant de « malentendus », de « mal compris », tous amenant à des conflits, des querelles, des guerres, quand de simples mots se vivent avec autant d’intensités différentes.

Des mots qui demandent du respect, des mots qui cherchent à choquer, des mots à qui on donne tant et tant de sens, d’images intenses et de significations multiples.

Le langage unit-il autant qu’il divise. Fait-il de nous des proches ou des lointains de l’autre ?

Qu’en pensez-vous ?

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Le Fort Saint Antoine, de la poudre à canon au fromage

© Texte et images Marc VINCENT  02-2024

Entrée du fort sous la neige

Après la défaite française de 1871 et la perte de l’Alsace-Lorraine, le gouvernement français décide la construction de forts. Ceux-ci défendront les frontières du Nord et de l’Est de la France. Les différents ouvrages, 166 forts, 43 petits et 254 batteries ont été construits de Calais à Nice. C’est dans ce cadre que le fort Saint-Antoine est édifié à quelques kilomètres du village éponyme. L’ouvrage est situé dans une forêt à 1082 mètres d’altitude dans le département du Doubs, non loin du lac de Saint-Point. De forme hexagonale, le fort est édifié en pierres et briques de 1879 à 1882. Le futur maréchal Joseph Joffre, alors capitaine du Génie, est responsable des chantiers dans le secteur de Pontarlier, dont Saint-Antoine. Celui-ci est imposant, 600 maçons, 600 tailleurs de pierre et 1000 hommes de troupe ont travaillé à sa construction. Le fort a été recouvert de terre et pierrailles sur une épaisseur de cinq mètres. En 1887 il prend le nom de Fort Lucotte (Edme Lucotte 1770-1825 Général de la Révolution et d’Empire). Une fois en service, 400 à 420 militaires y étaient affectés. Le fort, situé entre Pontarlier et la frontière suisse devait défendre l’itinéraire de Lausanne à la vallée du Doubs. Plusieurs canons de 120 mm en assuraient la défense ainsi que des canons-révolvers Hotchkiss de 57 millimètres. Un fossé sec entoure le fort et un pont-levis est placé devant l’entrée. A l’extérieur l’on peut voir les ruines des casernements extérieurs « de paix ».

Reconversion des espaces de casernement en stockage des meules. Panneau explicatif dans le fort Saint Antoine.

Avec le temps le fort tombe en désuétude. L’armée quitte les lieux et vend le fort en 1965 à la commune de Saint Antoine. L’année suivante l’édifice prend une nouvelle affectation, civile cette fois. Monsieur Marcel Petite loue le fort pour l’aménager afin d’y affiner les meules de fromage Comté AOP. Les conditions de garde sont impeccables : 8° et 95 % d’humidité en permanence. De 2008 à 2011 une nouvelle cave voûtée est construite, augmentant la capacité d’affinage de 40.000 unités. Les voûtes sont intéressantes, car elles favorisent la circulation d’air. Vingt fruitières alimentent le fort. Mais qu’est-ce qu’une fruitière ? La fruitière est un lieu où les éleveurs amènent leur lait. Celui-ci y est transformé en fromage. Après quelques jours, les meules fraîches sont transportées au fort pour l’affinage. Celui-ci peut durer de 6 à 18 mois. Durant la période d’affinage, à intervalles réguliers, le trieur-gouteur tape avec un petit marteau pour évaluer la résonnance d’une meule. Ensuite, avec une petite tarière, il extrait une carotte et goûte la meule. C’est lui qui décidera quelle meule sera vendue jeune, minimum 4 mois, ou plus âgée. Les meules pèsent environ 40 kg, elles sont régulièrement brossées et retournées par un appareil spécial. En 2022 un Comté de 40 mois a été primé. A présent, c’est le petit-fils de Marcel Petite qui est à la tête de l’entreprise gérant l’affinage de 100.000 meules de Comté.

La poudrière, croquis d’ensemble, un stockage de 38 tonnes de poudre y était réalisé.

Reconversion de la poudrière en lieu d’affinage.

A 60 kilomètres, au sud-ouest dans le département du Jura, se situe le Fort des Rousses. Celui-ci pouvait abriter 3500 militaires et a été démilitarisé en 1995. Ensuite il a été racheté par Jean-Charles Arnaud et l’a reconverti à partir de 1997/1998 à l’affinage du Comté. Jean-Charles Arnaud y avait effectué son service militaire et y avait trouvé un lieu idéal à l’affinage des meules de Comté. Son grand-père avait créé une fromagerie en 1907 à Poligny, dans le département du Jura.

 

Rayonnages d’affinage, le bois employé est de l’épicéa. Nous voyons la machine retournant et brossant les meules.

Sur les Comté mis en vente, une bande de couleur est apposée sur la circonférence. Une bande à lettres et cloches vertes signifie que le fromage a reçu une note de 14 à 20 (20 étant la cote maximum). Une bande à lettres brunes signifie une note de 12 à 14. Toute une série de critères définissent l’attribution de la cote. Les meules ayant eu une note inférieure à 12 ne reçoivent pas l’appellation Comté et seront destinés, notamment, à la fabrication de fromage fondu genre « Vache qui Rit ». Le Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté (CIGC) a établi un cahier de charge et en vérifie son application pour la protection et la réputation du Comté.

Après la défense du territoire, les forts ont la mission de défense du patrimoine gustatif.

Bandes de couleurs.
© GIGC

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L’année Ensor commence à Ostende

© Texte et images D. LYSSE  02-2024

À l’occasion du 75e anniversaire du décès de James Ensor, plusieurs expositions se préparent, abordant le travail du peintre ostendais sous des angles variés. Sa ville natale a ouvert le bal au « Mu.ZEE », avec une présentation centrée sur la nature morte. Elle rassemble autour des œuvres du maître un échantillonnage de la production du XIXe et de la première moitié du XXe siècle sur le même thème. Cet accrochage n’a pas la prétention d’être une présentation exhaustive du travail d’Ensor dans le domaine de la nature morte. Le choix présenté est toutefois riche et diversifié, et suffit pour se faire une très bonne idée des différentes options abordées par le peintre au cours de sa carrière. Une carrière qui fut, on le sait, loin d’être tranquille et linéaire.

Remarquablement doué, Ensor a commencé par peindre de façon assez traditionnelle, utilisant des fonds sombres et brunâtres, lointain héritage des peintures caravagistes du XVIIIe siècle. Brillant dans le rendu de la lumière et des matières, il s’est vite singularisé par une très grande liberté dans la touche. Ses croquis laissent entrevoir toute la joie et la curiosité avec lesquelles il a abordé le monde qui l’entourait. On y devine l’enthousiasme que lui donnait sa capacité à prendre possession de son environnement par l’image, qu’il s’agisse de paysages, d’intérieurs complets, de somptueuses mises en scène de la vie bourgeoise (qui seront l’objet d’autres expositions, à Bruxelles et Anvers), ou de rapides études de passants dans la rue, voire de mouches et moustiques morts trouvés sur un appui de fenêtre. (Il suffit de cliquer sur l’image ci-contre pour l’agrandir, ce qui peut s’avérer utile pour distinguer un dessin de moustique.)

Au fil des ans, peut-être sous la pression des modes étrangères, peu enseignées dans les académies officielles en Belgique, Ensor fera évoluer cette première manière et adoptera la palette claire de l’impressionnisme. Parallèlement, il ajoutera aux scènes de la vie quotidienne des éléments imaginaires, dans la lignée du symbolisme d’un Redon. Mais il intégrera ces influences de façon très personnelle. On voit bien, sur les cimaises d’Ostende, comment cette transition technique fut graduelle, continuité qui permit d’ailleurs à Ensor de reprendre régulièrement ses premières toiles sans presque rien modifier au sujet ni à la mise en page, pour en donner de nouvelles versions plus colorées, où l’accent était désormais moins placé sur la lumière que sur la couleur.

Plus loin dans l’exposition, quelques très belles natures mortes de Rik Wauters montrent ce qu’aurait pu donner un basculement radical vers des à-plat de couleur et vers le fauvisme, par exemple. Mais rien de tel n’a eu lieu chez Ensor et, par contraste, on mesure à quel point il est resté prudent face aux recherches plastiques révolutionnaires. Chez lui, le fond noir hérité du Caravage, qui unifiait l’espace du tableau, n’a disparu qu’en apparence. Il a fini par être remplacé par un fond blanc irisé, tout aussi conventionnel, qui remplit exactement la même fonction. Une fois ce compromis élaboré, l’attention du peintre s’est détachée de la question et s’est largement déplacée vers d’autres centres d’intérêt, vers l’imaginaire satyrique et poétique auquel la vivacité nouvelle de sa palette et la virtuosité de son pinceau vont donner des moyens d’expression décuplés.

Pendant ce temps, dans la première décennie du XXe siècle, à Paris, avec le fauvisme puis le cubisme, l’art d’avant-garde va emprunter d’autres voies, plus radicales, plus construites, souvent plus intellectuelles. Vers le nord et vers l’est du continent, l’expressionnisme germanique aurait pu sembler suffisamment proche d’Ensor pour que son émergence constitue pour lui un moteur, un facteur de renouveau, mais ce mouvement véhiculait souvent un contenu militant et des revendications sociales qui restaient largement étrangères au peintre ostendais. En conséquence, alors qu’Ensor n’était pas très âgé, son art s’est retrouvé peu à peu isolé, déjà un témoin du passé. À une échelle plus personnelle, il semblerait qu’Ensor se soit peu à peu lassé de ses recherches. Trop poussées, ses couleurs sont devenues criardes ; ses fonds blancs se sont fait envahissants, ses compositions rudimentaires. Ce n’est pas qu’il ne sache plus peindre : on le voit avec le saisissant tableau réalisé après la mort de sa mère, en 1915, où les bouteilles et récipients de son atelier sont représentés en avant-plan du gisant pour évoquer les médicaments qui n’ont su sauver la mourante. Mais à la longue, la peinture l’amuse moins, les rendus de matière l’ennuient, les mises en scène un peu complexes le fatiguent, et, d’un tempérament impulsif et fonceur, il a du mal à se forcer lorsque l’enthousiasme n’y est pas.

Son intérêt se porte alors volontiers vers d’autres occupations, parfois assez surprenantes : vers les deux tiers de sa vie, il s’attelle ainsi avec ardeur à composer de la musique, et même un opéra, sans atteindre aucun résultat digne qu’on s’y arrête. De façon plus fructueuse, il redouble d’activité du côté littéraire. Il multiplie les diatribes et discours où il atteint à une truculence rare. Sans jamais, hélas, s’atteler à un texte de grande ampleur, il reste un roi du fragment, du morceau de circonstance tournant à la satire. Dans un feu d’artifice logorrhéique, il use de la langue française aussi librement qu’il usa longtemps du pinceau, et invente à tour de bras des néologismes et des tours syntaxiques bizarres, féroces et hilarants. (Un vaste choix de cette littérature hétéroclite a été rassemblé aux éditions Labor, collection Espace nord, volume 158.)

Lorsque, par chance, il retrouve la joie de peindre, cela peut donner des résultats intéressants (voir, par exemple, ci-contre, la nature morte au chou rouge). Mais pour répondre à la demande du public, il finit le plus souvent par pasticher ses œuvres antérieures. Il se copie tantôt de façon pressée et désinvolte, tantôt en retrouvant l’élan initial. Dans ce dernier cas, il lui arrive alors de faire un demi-faux et d’antidater son tableau pour le vendre à un meilleur prix, sa production des premières décennies ayant fini par devenir très recherchée.

Au fil de cette seconde moitié de carrière, Ensor peindra quelques redoutables fadaises que les collectionneurs et institutions préservent pieusement à cause du nom prestigieux de leur auteur (voir ci-contre, les emblématiques et dérisoires fleurs et fruits avec nymphe de guignol, farfadet vert et masques plus ou moins vomissant). Il faut dire à sa décharge qu’il est loin d’avoir été le seul à créer parfois des trucs sans qualité et des machins sans âme, répétant des formules épuisées ou, pire, croyant innover. Ainsi, parmi les natures mortes du XIXe et du début XXe rassemblées dans cette exposition d’Ostende, à côté d’authentiques chefs d’œuvre, on repérera au passage quelques croûtes désespérantes, signées pourtant par d’éminents professeurs d’académies, d’honorables avant-gardistes et autres sommités de leur époque.

Cela fait une partie du charme de cet accrochage très serré et volontairement non ordonné : il force le visiteur à côtoyer parfois dans un seul coup d’œil le génial et le pire, et à trier par lui-même. L’admiration obligatoire et généralisée n’est pas de mise ici. Au fil des salles, l’amateur d’art doit se fier d’abord, voire exclusivement, à ce qui le touche, à ce qui l’émeut, à ce qui lui parle vraiment, sans se laisser impressionner par les étiquettes et les signatures, fussent-t-elles d’Ensor en personne. Du reste, n’est-ce pas toujours dans cet état d’esprit libre et indépendant qu’on devrait visiter les musées ?

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Animaux fantastiques, au Louvre-Lens

Les images, les motifs mythologiques et les récits sont mobiles. Au cours du temps, leurs significations évoluent et ils migrent joyeusement. Ils se moquent bien des frontières et des dogmes rigides, des idéologies qui voudraient enfermer peuples et individus à l’intérieur d’identités bien définies, immuables, à défendre ou promouvoir agressivement. C’est ce que nous montre une exposition du Louvre-Lens dans un parcours presque ludique, à portée des enfants, avec des salles peintes en couleurs vives (fonds bariolés qui ont été atténués ou supprimés dans la brochure de présentation comme d’ailleurs dans les illustrations de cet article, pour des questions de lisibilité).

Le thème de l’exposition parlera directement aux usagers de jeux vidéo et aux lecteurs de littérature de fantasy : les animaux fantastiques. Les collections du Louvre, qui s’avèrent une fois de plus d’une richesse extraordinaire, sont ici enrichies d’emprunts à d’autres institutions, et vont nous permettre de suivre quelques-uns de ces êtres imaginaires à travers les millénaires et les kilomètres : dragon, griffons, sphinx, poisson-bouc, phénix, licorne… Beaucoup de ces pistes nous mèneront aux origines de la civilisation urbaine de ce côté-ci de la planète, à la Mésopotamie ou à l’Égypte ancienne. On fera aussi quelques incursions du côté de l’Extrême-Orient, pour y suivre les métamorphoses du dragon.

Prenons, par exemple, le poisson-bouc. Il y a six mille ans, chez les Sumériens, il est associé au dieu Ea, dieu du savoir et de la magie, vivant dans un mystérieux océan d’eau douce qui soutient notre terre. Quand Sumer perd le pouvoir au profit d’autres villes et empires, plus neufs, plus à l’ouest le long des deux fleuves, Ea devient Enki et régresse dans les hiérarchies divines au profit de divers dieux nationaux. Un peu plus tard, au moment où se structurent les grandes notions d’astronomie que nous utilisons encore aujourd’hui, son emblème sert à désigner une des constellations qui occupent une portion de l’écliptique (le cercle que le lever du soleil semble parcourir en un an dans le ciel nocturne).

Le poisson-bouc devient alors le signe du capricorne. Il apparaît sous cette forme du côté de Babylone, puis se met à migrer très loin de sa terre natale. On le retrouve sur les cartes du ciel chez les Égyptiens, mêlés aux divinités locales. Le zodiaque mésopotamien est ensuite adopté par les Grecs et répandu vers l’ouest avec Rome, et le poisson-bouc se retrouve finalement aux vitraux et porches des cathédrales puis dans les horoscopes de nos gazettes. Une présence discrète, certes, mais sans interruption au fil des millénaires !

On peut suivre de la même façon, de salle en salle, les métamorphoses d’autres bêtes imaginaires. Le dragon, par exemple, un être en forme de serpent monstrueux. La Mésopotamie l’avait d’abord lié aux eaux primordiales chaotiques, que des dieux créateurs vont devoir vaincre pour pouvoir mettre en place l’univers relativement ordonné que nous connaissons. Le récit biblique en fera la figure de Satan enchaîné dans l’Apocalypse et, plus loin de son mythe d’origine, la bête traversera les âges et les lieux pour connaître d’innombrables métamorphoses, se croisant avec des versions locales de monstres ophidiens. Cela donnera, entre autres choses, le Doudou montois, dont la défaite annuelle est présentée dans l’exposition à travers une vidéo. Dans une autre salle, on le retrouvera aussi dans le célèbre Saint Georges terrassant le dragon d’Uccello, où le peintre de la Renaissance italienne redécouvrait quasiment les lois de la perspective pour situer le combat dans un paysage de champs et de ville fortifiée.

Le filiforme dragon céleste chinois, de son côté, lié aux orages, aux pluies fécondatrices et à l’empereur, va lui aussi migrer au loin à la faveur des conquêtes turco-mongoles, et devenir un élément de l’imaginaire chez d’autres peuples. Dans l’exposition, on le retrouve notamment dans une miniature iranienne en train de combattre un chameau. Cette excursion du côté de l’Extrême-Orient permet, au passage, d’aborder quelques êtres hybrides moins familiers pour nous, dont les féroces gardiens de tombeaux chinois ou de bizarres apparitions marines dessinées par Hokusai.

En Europe, nous retrouverons dragons, licornes et monstres marins dans des manuscrits alchimiques et dans des atlas de géographie qui les confineront dans les terres inconnues ou mal connues, toujours plus loin à mesure que progressera l’exploration du globe. Comme dans l’antiquité gréco-romaine, ils seront également utilisés comme simples motifs décoratifs. Et ce bestiaire imaginaire connaîtra une nouvelle jeunesse avec l’art romantique puis dans la culture populaire des deux derniers siècles, dans la littérature et le cinéma fantastiques, ou les jeux vidéo. L’exposition offre ainsi, à travers un parcours agréable, sans didactisme, l’occasion de retrouver une perspective historique, et de voir que la grammaire des formes et de l’imaginaire contemporain nous vient dans certains cas de l’aube des civilisations. À notre époque qui manque parfois de perspective historique et tend à juger le passé et toutes choses à l’aune des préoccupations de la semaine écoulée, cela vaut la peine d’être rappelé avec un peu de mise en scène.

Lien : Exposition et réservation

Texte et images D. LYSSE © 10-2023
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Retour aux sources

En 1923, il y a tout juste cent ans, Maurice Pauwaert créait le premier magazine de voile belge. Il lui donnait le titre « Sur l’eau » et revendiquait un « esprit d’indépendance ». Naissait ainsi la plus ancienne revue de yachting du monde, dont Charles Bertels reprit la barre bien des années plus tard, la rebaptisant « Yachting Sud – Sur l’eau ». Barre qu’il tint fermement, entouré de quelques fidèles équipiers, étant à la fois au four et au moulin puisqu’il cumulait les fonctions de directeur de la revue, de rédacteur en chef, d’éditeur et de directeur de la publicité.

Je crois bien que c’était un midi d’automne. J’étais ce jeune cadre d’une grande banque qui, après avoir avalé son sandwich, faisait quelques pas rue de la Régence et s’arrêtait, comme tous les midis, à la librairie, au coin de la place du Sablon, pour y acheter la dernière édition du « Soir ». Ce jour-là, il y avait beaucoup de monde dans la librairie et le libraire s’affairait à encaisser les quelques francs belges que lui donnaient ses clients pressés de découvrir leur quotidien. Quant à moi, attendant qu’il y ait un peu moins de monde au comptoir, je regardais d’un œil distrait le rayon des magazines. Une très belle photo de couverture attira mon regard : un voilier, l’étrave éclaboussée par les vagues, la coque inclinée, toutes voiles dehors, semblait sortir du magazine et se diriger vers moi. J’achetai l’exemplaire de « Voiles et Voiliers » qui, entre autres, consacrait plusieurs articles à une course à la voile autour du monde, la Withbread.

C’est ainsi que tout a commencé. Le banal trentenaire, cadre de banque perdu dans la foule anonyme de ses semblables, venait de découvrir la passion de la voile. La semaine suivante, il achetait « Yachting Sud », y découvrait une annonce du Groupe de Croisière des Bancs de Flandre et s’inscrivait à leur cours de voile. Peu après, il embarquait à Boulogne sur un Armagnac appartenant à l’Ecole des Glénan. Je m’en souviens comme si c’était avant-hier : les manœuvres de port, le chef de bord qui me crie : « Déborde ! », mon incompréhension totale du vocabulaire marin, la jolie Annette qui me tend la gaffe en mimant ce qu’il faut que j’en fasse. L’absence de moteur. La grand voile qui se déchire. Les innombrables bords tirés dans la nuit sous génois seul avant de pouvoir entrer dans la rade de Douvres. Mais la nuit était belle et j’avais barré ce superbe plan Harlé de 8 mètres 50 pendant suffisamment longtemps pour que le coup de foudre me frappe en plein cœur et que dorénavant, la voile, la mer et moi ce soit à la vie à la mort.

Voilà donc ce qui peut se passer quand on lit par hasard un magazine de voile. Et c’est bien cela la raison d’être d’un magazine comme « Yachting Sud ».

Charles Bertels, dans son éditorial du n° 864 (juillet/août 2005), intitulé « Excusez-nous du peu ! », écrivait ceci : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à l’alternative d’arrêter la publication ou de négocier un nouveau partenariat avec un groupe de presse. … Nous savons que vous aimez Yachting Sud – Sur l’eau autant que nous et qu’arrêter une publication équivaut à museler une liberté d’expression dans quelque domaine que ce soit, s’agissant ici de votre passion. … Cette édition de juillet-août 2005, limitée aux seuls coûts de production, vise avant tout à assurer une continuité dans votre légitime désir de rester des yachtsmen belges qui ont le droit d’être informés par leur mensuel ».

Le numéro est bien maigre : 16 pages seulement. Le suivant (865 – septembre 2005) passe à 24 pages et, cette fois, l’éditorial proclame : « Yachting Sud continue ». Et explique : « … Autant de réactions positives nous ont permis de choisir le nouveau partenariat qui correspondait le mieux à notre politique éditoriale qui est de publier un mensuel belge écrit par des yachtsmen pour des yachtsmen. » L’homme providentiel s’appelle Pierre-Yves Martens. Il reprend les rênes de Belgian Yachting Press et dirige toujours actuellement la publication de Yachting Sud. Quant à Charles Bertels, il conclut ainsi son éditorial : « Notre équipe rédactionnelle et graphique reste fidèle au poste pour que vous retrouviez dès le mois prochain votre Yachting Sud tel qu’il était et que vous avez souhaité qu’il continue. Merci à vous tous, nous sommes à nouveau sur le bon bord. ».

Aujourd’hui, dix-huit ans plus tard, Yachting Sud est devenu ce magazine dont plus personne ne conteste l’inventivité et le perfectionnisme de la mise en page (effectuée avec talent par l’agence PAF), ni le choix d’excellentes photos, ni la qualité des textes publiés. Mais la conjoncture a évolué. Le Covid 19 a rétréci le marché de la plaisance avant que l’inflation ne fasse sa réapparition. La hausse des prix et celle des taux d’intérêt ont effacé des années d’argent facile et de crédits à des taux proches de zéro. La presse en général et la presse nautique, la nôtre, en particulier, souffrent énormément de la hausse du prix des matières premières (le papier) et du coût de l’énergie (imprimerie).

Comme les cycles économiques ont tendance à se répéter, les experts nous prédisent la fin de l’inflation pour début 2024, qui devrait être une année de récession ou de croissance nulle, avant une année 2025 où les planètes s’aligneraient à nouveau dans le bon sens.
D’ici là, il nous faut compter sur vous qui lisez ces lignes. Il vous suffit de faire ce simple geste qui ne vous coûtera pas beaucoup : souscrire un abonnement à « Yachting Sud ». Vous ne le regretterez pas…

Merci d’avance et à bientôt !

Infos pratiques :
– Téléphone +32 2 648 06 17
– Fax: +32 2 633 22 94
– e-mail: pymartens@yachtingsud.be

Eric Van der Heyde © 09-2023
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Expo ENTRELACS à Binche, vêtements et surnaturel

Texte et images D. LYSSE © 08-2023

Le Musée du Masque, à Binche, propose, une fois de plus, une exposition d’une qualité excellente : Entrelacs, à voir jusqu’au 24 septembre 2023. Il a rassemblé, cette fois, des vêtements, le complément classique du masque lorsqu’il s’agit de traiter avec des forces irrationnelles, qu’elles soient sociales ou plutôt abstraites, de l’ordre de la psychologie ou du surnaturel. Les objets proposés sont tous exceptionnels et les commentaires toujours pertinents.

Dans les costumes de fonction traditionnels, très peu de choses sont laissées au hasard ou à la fantaisie personnelle. Les motifs concrets ou abstraits, les couleurs, les matières, les parties écrites éventuelles sont tous porteurs de significations précises qui permettent à un simple individu d’endosser un rôle social, roi, juge ou guérisseur, ou de servir d’intermédiaire avec le surnaturel. Par exemple, une chape d’évêque sera chargée d’ornements évoquant, en plus de l’histoire sainte, des lumières dorées et des allusions paradisiaques. Ou bien une écharpe brodée de guérisseur lao sera rouge parce que le rouge est la couleur du sang, associé à la force vitale, à la puissance, à la santé, liaisons symboliques qui doivent être mobilisées dans le cadre du processus de guérison envisagé.

Certains motifs figuratifs permettront de se concilier les bonnes grâces des entités métaphysiques (ancêtres, esprits, anges, divinités…) ou de repousser celles qui seraient malfaisantes. De même, ils matérialiseront les présences impalpables pour le spectateur. Ces motifs diffèrent évidemment d’une culture à l’autre, de même que la nature de ces êtres et les possibilités de dialogue avec eux. Sur des bonnets d’Asie centrale, pour porter chance, ce seront plutôt des stylisations de cornes de bélier qui seront choisies : un signe propitiatoire lié à l’abondance de troupeaux, à la fertilité et à la plénitude vitale. Et les bonnets d’enfants du sud de la Chine seront ornés de représentations de créatures mythiques protectrices, capables de tenir à distance les forces mauvaises.

Les motifs abstraits sont, eux aussi, dotés de valorisations variables. Le cercle, le carré, le triangle et les figures plus complexes peuvent être associés à des notions, à des mythes, à des mondes plus ordonnés et plus signifiants que le nôtre, qui leur feront véhiculer des influences positives, des capacités à porter bonheur ou à repousser le mauvais œil.

Les grandes étapes de la vie, naissance, petite enfance, passage de l’adolescence à l’âge adulte via une initiation, mariage ou mort, se feront évidemment sous les auspices de ce code vestimentaire complexe. Et le motif qui ornera les linceuls pourra être le même que celui des naissances, pour évoquer une possible renaissance. Ou les trousseaux qu’a préparés pendant des années la mariée pourront mentionner des signes renvoyant à la prospérité, à la fécondité, aux liens indissolubles…

Les attributs du pouvoir dans les sociétés fonctionneront de la même façon. Les rois arboreront des motifs qui mentionnent leur domination, des symboles de totalité, de force et d’harmonie. Il en ira de même pour les maîtres et les gradés de sociétés secrètes qui serviront parfois de contre-pouvoirs. Quant aux guerriers ou autres membres de professions risquées, ils afficheront sur leurs casques et revêtements les signes de la puissance, de l’adresse ou de la longévité dans un rôle protecteur et stimulant. Les prêtres, devins, chamanes, sorciers, docteurs, guérisseurs et intermédiaires divers entre le sacré et le profane useront évidemment beaucoup de toute cette symbolique, à la fois comme signe ostensible de leur mission, vis-à-vis du public, et comme aide surnaturelle dans leur tâche, du côté irrationnel. On le voit, par exemple, avec cette veste de guérisseur sénégalais.

Un cas particulier est celui de l’usage des écritures à but magique, propitiatoire ou protecteur, dans la confection du vêtement talismanique. On en trouvera de très beaux et très singuliers exemples dans l’exposition, qu’il s’agisse de passages coraniques, pour l’aire musulmane, ou d’extraits de la littérature bouddhiste ou hindouiste, avec des pièces venues de Thaïlande.

Bref, le visiteur verra ici une immense variété d’évocations de puissances irrationnelles dans un registre intimiste, à des fins d’efficacité sur le monde ou de protection contre ses aspects les plus redoutables, et dans un registre ostentatoire, social, pour afficher un pouvoir et l’aligner sur celui d’êtres surhumains. C’est peut-être, malheureusement, parce qu’elle a lieu à Binche que cette exposition n’a pas eu tout le retentissement qu’elle mérite. Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, nul doute qu’elle eût attiré dix fois plus de curieux. Faites le déplacement, vous ne le regretterez pas !

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A Tournai, des marionnettes aux 1000 visages

Texte et images D. LYSSE © 08-2023

Le musée de la Marionnette, à Tournai, est hébergé dans le cadre intime d’une grosse maison bourgeoise. C’est une institution discrète où la Communauté française regroupe tout ce qui, dans ses collections, a trait de près ou de loin au théâtre de marionnettes. À de rares exceptions près, il s’agit d’objets issus de traditions populaires. Pas de chef-d’œuvre classé par l’Unesco, ici, et peu de grands formats. Mais, pour ceux qui ont gardé une part de la capacité de rêver de l’enfance, beaucoup de ces personnages en miniature sont étrangement dotés d’un regard, d’une présence.

Chacune des pièces exposée peut en effet raconter une histoire, ce qui était d’ailleurs leur unique fonction et raison d’être : contrairement aux statues ou aux objets décoratifs, elles devaient incarner un rôle, vivre sur une scène et interagir avec un public à travers quelques mouvements simples. Cette nécessité du dialogue explique que, dans beaucoup de cas, le caractère expressif des figurines ait été particulièrement soigné, plutôt que la perfection formelle ou la ressemblance avec un modèle précis.

À côté de quelques exemplaires industriels fabriqués à la chaîne, la collection montre surtout des ouvrages artisanaux fabriqués dans l’entourage de ceux qui allaient les utiliser. Elle nous permet d’aborder les diverses sociétés par leur côté le moins « fabriqué », le moins manipulé par les puissances politiques ou économiques. Et elle touche à la fois au versant laïc et au versant magique ou religieux.

Après un étage consacré à l’Occident, principalement à l’Europe, un autre nous fait voyager dans des zones plus éloignées. Nous y sommes interpellés par des figures moins familières, venues d’Afrique ou d’Asie, qui nous invitent à nous plonger dans des imaginaires très différents du nôtre. Des conventions plastiques beaucoup plus éloignées de la figuration permettent, par exemple, à des personnages venus du Mali d’afficher des yeux en boutons de culotte ou bien un regard immense, qui dévore tout le visage et qui incite à faire référence à une puissance magique en plus d’un simple rôle civil.

Le théâtre indonésien, encore vivant et populaire à Java, est ici largement représenté, en deux et en trois dimensions, et cela vaut la peine de traîner devant chacune des figurines, qu’ils s’agisse de princesses et princes fardés de blanc, aux traits affinés tracés au pinceau à trois poils ou de démons verts et rouges qui viennent entraîner les innocents sur le chemin de la perdition avec un sourire qui leur donne l’air d’avoir déjà longuement abusé de l’alcool ou d’autres substances similaires.

Plus loin, on voit des personnages birmans particulièrement expressifs, puis des représentants du théâtre sur l’eau vietnamien, avec un répertoire dans la veine populaire, ainsi que des figures plates thaïlandaises habillées dans des tenues de palais aussi extravagantes que celles, généralement importables, qu’on peut voir dans les plus déjantés de nos défilés de haute couture.

De Chine nous est venu tout un théâtre avec un luxueux décor en dorure et laque ainsi que les acteurs et figurants pour représenter la quête légendaire des textes bouddhistes par un maître chinois aidé des esprits et divinités les plus divers, un récit qui permettait de transmettre les valeurs fondamentales de la doctrine d’une façon imagée, pleine d’aventures et de fantastique, propre à capter l’attention.

D’Inde, enfin, on retrouve les marionnettes plates en cuir et parchemin que l’on pouvait encore voir en action, il y a quelques années, et des figures à fils, plus simples, pour un théâtre de village en voie de disparition. Les plus pressés feront le tour de l’exposition en un quart d’heure, les plus rêveurs pourront y passer beaucoup plus de temps, à examiner tous ces visages inconnus et à envisager toutes les tonalités possibles du dialogue avec eux. Quant aux enfants, ils pourront improviser des petites scènes de théâtre d’ombres avec des figurines mises à leur disposition.

Un bémol pour terminer. La limitation des moyens disponibles en Communauté française fait une grande partie du charme du lieu, le peu d’aménagements effectués dans la villa lui conservant un caractère intime et chaleureux, comme si l’on était invité par un original à visiter une gigantesque collection privée. Mais cela pourra surprendre ceux qui sont habitués aux présentations pointues et technologiques qu’on peut voir ailleurs. D’autre part, les abords du bâtiment sont assez peu engageants : la façade de verre et métal de la Maison de la Marionnette, voisine, laisse déborder du mobilier de jardin mais semble n’abriter que des activités sporadiques en été, et les anciennes annexes de la villa, qui limitent le domaine en intérieur d’îlot, menacent ruine. Une grande bâche y fait savoir : « Patrimoine en péril. Propriété de la ville de Tournai. », sans que le visiteur sache s’il s’agit d’un reproche adressé publiquement par le musée à la ville de Tournai pour l’abandon de ces constructions ou d’un appel à l’aide de la municipalité sollicitant de généreux donateurs. Quoi qu’il en soit, cela fait mauvais genre si vous amenez des hôtes étrangers. Il vaut mieux les prévenir.

Vers le musée : https://www.maisondelamarionnette.be/fr/musee/

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Nancy sous la pluie

Imaginons que vous soyez à Nancy par un été pluvieux. Toute l’Europe du sud est frappée par une terrible canicule et par des incendies mais le nord, fidèle à sa réputation, n’en reste pas moins sous une grisaille tenace. Que faire de ses journées ?

 

Avec un peu de chance, le temps pourrait être clément en soirée, au moment du son et lumière sur la place Stanislas, un des spectacles les plus créatifs qu’on puisse voir dans le genre, sans aucune intention pédagogique ni historique, pour le plaisir de suivre un rêve étrange projeté sur les façades néo-classiques, entre pieuvres géantes prenant possession des palais, profils géométriques fuyant, façon 2001 odyssée de l’espace, et envahissements de couleurs pour le seul plaisir de la surprise, de l’immersion dans des espaces en perpétuel mouvement.

Pendant la journée, pour les petits et grands enfants, l’objectif le plus adapté à l’intérieur sera sans doute le Museum d’Histoire naturelle, avec un étage entier d’aquariums, où rêver devant les merveilles et étrangetés de la nature que le vingtième siècle aura tant malmenée, pour apprendre à mieux connaître sa richesse et sa perpétuelle invention.

Un autre objectif, sans doute plus pour les adultes que pour les jeunes, est le musée de l’École de Nancy, cette tendance de l’Art Nouveau qui, au début du siècle passé, a révolutionné toutes les modes de l’époque pour rêver, déjà, d’un retour à la nature. C’est l’occasion de visiter une de ces somptueuses propriétés où, si elles n’étaient pas devenues musées, le commun des mortels aurait peu de chances d’aller un jour se promener. Et de voir les créations du maître incontesté en ces lieux : Gallé, doué d’une prodigieuse faculté d’absorption des styles étrangers. Artiste polyvalent, verrier autant qu’ébéniste, capable de produire de la verrerie arabe comme on en faisait au Caire sous le califat des fatimides puis de donner des variations sur des thèmes chinois ou japonais en rapport avec la végétation, vases en tronçons de bambou ou réceptacles à col étroit pour une tige de cerisier en fleurs.

Dans des salons meublés avec du mobilier déclinant volutes et arabesques végétales, toute la botanique est passée en revue au fil de la visite. Les amateurs y reconnaîtront des essences rares sur les flancs des vases et des coupes pendant que les autres chercheront sur internet ce que peuvent bien être les cattleyas ou les berces, pour découvrir parfois qu’il s’agit d’une mauvaise herbe absolument banale, qui poussait pas loin de la maison de leurs grands-parents et qui, isolée et mise en valeur par des mains compétentes, devient soudain fascinante.

 

Le palais des ducs de Nancy ne se visite pas actuellement, il est en réfection, mais une partie de ses collections se trouve dans l’église des Cordeliers, voisine (où l’entrée est gratuite, ce qui ne gâte rien) et l’autre au musée de Beaux-Arts, dans un des édifices de la place Stanislas. Un avantage imprévu de ce déménagement est qu’il permet le rapprochement de deux chefs-d’œuvre rarement placés côte à côte : l’Annonciation, un des rares originaux du Caravage hors d’Italie, et La femme à la puce, de Georges de la Tour, un caravagiste français qui a suivi et réinterprété à sa façon la mode du clair obscur lancée par le sulfureux peintre italien.

Le Caravage avait introduit en peinture les fonds noirs. Ils permettaient d’économiser les décors et recentraient l’attention des spectateurs sur l’action et la psychologie des personnages, généralement interprétés par des modèles à la fois sensuels et populaciers, un mélange appelé à faire scandale après l’idéalisme de la Renaissance puis à conquérir toute l’Europe. Dans son annonciation à l’audacieuse composition diagonale, on voit ainsi une Vierge Marie sagement classique, avec un profil grec inexpressif, recevoir le message céleste d’un envoyé au visage caché, laissant seulement apercevoir un bras et une épaule au traitement virtuose et à la sensualité difficilement surpassables pour un morceau aussi réduit. (Pour mieux examiner la reproduction, cliquez sur l’image.)

Chez de la Tour, en revanche, aucune lumière tombant du ciel pour illuminer le fond noir mais une simple chandelle, aucune chair ambiguë où l’érotisme latent serait racheté ou justifié par l’esthétique, mais une femme quelconque, au physique lourd, surprise pendant une corvée nullement éthérée, occupée à essayer d’écraser entre deux ongles la puce qui la démange depuis un moment dans l’obscurité d’une alcôve. La confusion est impossible avec un ange ou avec une Vénus ou même, pour prendre une comparaison plus actuelle, avec une Barbie !

 

On a beaucoup glosé sur ces fonds noirs du Caravage et de ses héritiers : puisqu’ils sont à peu près vides, ils permettent à chacun d’y poser la signification qu’il veut. Les fonds noirs de Rembrandt, par exemple, sont supposés accueillir un éclat de la lumière divine dans le monde d’obscurité et de perdition postulé par le protestantisme hollandais. Les fonds noirs du Caravage auraient alors pu suggérer une sorte de rédemption par l’esthétique, au-delà des censures et barrières morales traditionnelles. Et ceux de Georges de la Tour pointeraient alors vers une rédemption des humbles, de l’immense peuple des sans-grades, petits tricheurs aux cartes et escrocs sans envergure, femmes de ménage, laitières ou boulangères qui, par leur simplicité, mériteraient gracieusement une illumination céleste que les instruits et les nantis devraient pour leur part gagner par un effort de chaque instant. Quoi qu’il en soit, le rapprochement actuel de ces deux grandes œuvres, témoignant de deux interprétations si divergentes des mêmes contraintes plastiques, est comme une invitation à l’exercice interprétatif. N’hésitez pas, lâchez-vous, ça occupe en attendant que la pluie cesse et qu’on puisse à nouveau se promener !

Texte et images D. LYSSE © 07-2023
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Expos Asie Centrale à Paris

Cet hiver, deux expositions importantes traitant de l’Asie centrale sont à voir à Paris : Afghanistan au musée Guimet (jusqu’au 6 février 2023) et Ouzbékistan au Louvre (jusqu’au 6 mars 2023).

1. L’Afghanistan à Guimet

Pendant très longtemps, avant que ne s’ouvrent des routes maritimes au long cours, l’Asie centrale a été le principal point de contact entre la Chine et le monde méditerranéen ou l’Inde. En marge des déferlements d’armées, la région a vu s’établir au fil des siècles, vers le début de notre ère, de fructueuses voies commerciales. Et les constructions culturelles qui y sont nées ont parfois changé la face de la planète.

La culture indienne, par exemple, dans sa forme bouddhiste, très liée jusque-là à son terroir, a élaboré sur ces confins montagneux ou semi-désertiques une version aisément exportable de ses doctrines, qui s’est ensuite diffusée jusqu’au Japon en suivant les routes caravanières contournant le massif du Tibet. Le Bouddha avait, en effet, interdit qu’on le représente personnellement, et l’interdiction a perduré pendant plusieurs siècles. Mais quand le bouddhisme a été en contact avec les traditions plastiques et la propagande sculptée des royaumes indo-grecs issus des conquêtes d’Alexandre le Grand, le besoin d’une iconographie plus performante est devenu plus pressant. L’outil qui a été alors mis au point s’est avéré un formidable moyen d’enseignement populaire et de propagation de sa pensée et de ses mythes.

C’est au nord de l’actuel Pakistan (dans l’ancien Gandhara), peu avant le tournant de notre ère, puis dans le territoire qui est aujourd’hui l’Afghanistan, qu’est née cette extraordinaire synthèse et qu’elle s’est perfectionnée. Et dans ce vaste creuset d’influences disparates, la doctrine bouddhiste même a évolué de façon très créative vers la version dite « mahayana », relativement différente de l’austère enseignement indien primitif.

Les lieux de naissance de ces bouleversements culturels ont été longtemps oubliés, ensevelis par le passage du temps et des armées. Il a fallu attendre la fin du 19e siècle et le début du 20e pour que leur importance redevienne évidente, et que la région soit l’objet d’une attention soutenue des archéologues. Dans ce cadre, la Délégation archéologique française en Afghanistan a largement contribué aux fouilles. La présente exposition retrace un siècle de cette collaboration.

On savait les vitrines du musée Guimet particulièrement riches et attractives concernant ce domaine mais cette exposition révèle que, sans quasiment les dégarnir, l’institution possède encore dans ses réserves de quoi éblouir et faire rêver le visiteur. Il s’agit parfois ici de grande statuaire mais surtout de pièces plus intimistes : parements d’autels ou décorations de stupas. L’imaginaire religieux hérité de l’Inde s’y déploie pleinement, mêlé à la sensualité de l’art hellénique, ainsi qu’à une certaine pompe héritée de la propagande impériale romaine. Au fil du parcours, on peut observer dans une forme encore très souple et très inventive ces figures qui ne tarderont pas à devenir classiques et qui traverseront ensuite sans changement fondamental les siècles et les frontières.

L’exposition à Guimet se poursuit par une section consacrée aux produits d’importation trouvés en Afghanistan. Le trésor de Begram, datant du premier ou du deuxième siècle, en est le centre, avec ses objets chinois, ses luxueuses verreries importées d’Alexandrie d’Égypte, et son célèbre ensemble d’ivoires indiens aux voluptueux dieux, déesses, apsaras et gandharvas encadrés de rinceaux peuplés des bêtes mythologiques les plus diverses. L’ensemble témoigne surtout du cosmopolitisme et de l’immense prospérité de la région aux alentours du début de notre ère.

Vient ensuite une section islamique, domaine que les aléas de l’histoire des cent dernières années ont moins permis à l’école française d’approfondir. À un autre étage du musée, le visiteur pourra également voir une belle présentation de créations textiles traditionnelles et contemporaines réalisées par des artistes et des artisanes afghanes. Une mise en valeur qui n’est pas superflue à l’heure où le retour des intégristes au pouvoir met gravement en péril le statut et la liberté de la femme dans la société.

Soit dit en passant, la pratique de partager les trouvailles des fouilles archéologiques entre les musées afghans et les institutions occidentales qui finançaient les recherches, pour discutable qu’elle puisse être dans l’absolu, s’est avérée, dans ce cas-ci, providentielle. Une partie des objets a ainsi pu être protégée des pillages et des destructions programmées par les talibans et autres fondamentalistes, qui se sont attaqué avec un bel esprit de système aux collections archéologiques des musées afghans ainsi qu’aux monuments et aux sites pré-islamiques. Leurs saccages ont été d’autant plus faciles à mettre en œuvre que, contrairement à la statuaire grecque et romaine, en bronze ou en marbre, beaucoup des réalisations antiques de la région avaient été réalisées dans des matériaux souples à travailler mais fragiles, comme l’argile non cuite ou le stuc. Une série de photos vient documenter ces exploits en clôture de l’expo.

2. Trésors d’Ouzbékistan au Louvre

L’exposition du Louvre est moins vaste que celle dont nous venons de parler, mais elle est également fascinante, et les deux se complètent. On peut voir ici des pièces rares venues des oasis d’Asie centrale, dans l’actuel Ouzbékistan, qui constituaient des étapes obligatoires sur les routes commerciales contournant le plateau himalayen par le nord.

On y trouve, naturellement, des pièces bouddhistes qui témoignent de la propagation vers le nord-est des images créées au Gandhara puis répandues par l’empire kouchan. On peut constater à cette occasion comment, en se diffusant, la synthèse d’origine, assez expérimentale, perd peu à peu de sa souplesse, de son invention pour devenir à son tour un code contraignant, avec ses conventions scolaires et ses formules dogmatiques, tendance qui ira en s’accentuant à mesure que passeront les siècles et que s’éloignera le milieu qui lui a donné naissance.

Ceux qui ont eu la chance de visiter l’Ouzbékistan seront agréablement surpris de pouvoir contempler ici des œuvres que l’on croise difficilement sur place, parce qu’elle restent dans des réserves ou parce qu’elles ont été prêtées au Louvre par des institutions beaucoup plus confidentielles et moins accessibles que le musée national de Tachkent.

À côté des pièces qui témoignent de la vitalité de la prédication bouddhiste, on en trouve d’autres, tout aussi intéressantes, provenant de la culture régionale pré-islamique, à une époque où les autorités étaient de plus en plus souvent d’origine mongole mais se révélaient ouvertes aux influences culturelles provenant des populations locales ou des échanges commerciaux. C’est un peu du parfum d’un monde cosmopolite oublié qui nous est proposé avec les œuvres montrées, elles aussi particulièrement fragiles, faites de stuc ou d’argile non cuite.

Il est à cet égard remarquable qu’ait été déplacée la fresque à l’éléphant qui sert d’affiche, réalisée sur un support extrêmement friable. Un peu comme les fresques de la salle des ambassadeurs, qu’on peut voir dans le musée de la ville ruinée d’Afrasiab, juste à côté de Samarcande, cette peinture murale témoigne du luxe, du goût pour la couleur, d’une certaine sensualité et de l’ouverture d’esprit de ceux qui régnaient sur ces riches métropoles commerçantes peu avant les bouleversements islamiques.

La section islamique témoigne joliment, à son tour, du mélange d’influences s’exerçant sur ces territoires très excentrés par rapport aux cœurs des empires. On voit qu’ici aussi, comme dans le cas du bouddhisme, l’interdiction stricte des images voulue par le fondateur a fini par être contournée. Sous l’influence de la Perse et, dans une moindre mesure, de l’Inde, l’habitude d’illustrer les manuscrits de luxe avec des miniatures a été adoptée. On sait, dans le même ordre d’idée, que les conquérants et bâtisseurs mongols et turcs à Samarcande et à Boukhara ont fait orner les façades de leurs plus prestigieuses mosquées d’animaux emblématiques, phénix ou tigres portant le soleil, qui auraient beaucoup étonné sur des édifices religieux dans la lointaine Arabie.

Au fil de ces deux expositions, on découvre au passage les joies et les périls du cosmopolitisme. Si l’on en croit l’exemple du bouddhisme évoluant en marge des centres indiens, à la porte de l’Asie centrale, le résultat du contact entre cultures très étrangères ne débouche pas obligatoirement sur un abâtardissement des doctrines. Si elle est bien conduite, par des milieux à la fois créatifs et tolérants, la recherche d’une synthèse peut parfois mener à un élargissement des horizons mentaux. Et cette évolution de certitudes devenues figées, locales et étriquées, peut même ouvrir la porte à un nouveau dynamisme, à une diffusion inespérée (et pacifique) de l’essentiel des messages d’origine sous des formes rénovées.

Texte et images D. LYSSE © 01-2023

Infos :
– Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan au Louvre : www.louvre.fr
– Afghanistan – Pakistan : www.guimet.fr

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Musées à volonté

Le prix d’entrée dans un musée, dans une exposition ou dans une institution culturelle vous a-t-il parfois dissuadé de pousser la porte ? Pour ceux qui ne disposent pas de carte de presse (ou pour les lieux où celle-ci n’est pas acceptée), pensez alors au PassMusées ou MuseumPass : (https://www.museumpassmusees.be/fr/offre)

Pour 59 euros, un peu plus d’un euro par semaine, vous aurez le libre accès pendant un an dans presque tous les grands musées du pays et dans des centaines d’institutions moins connues. Seuls les lieux gérés par des fabriques d’église font exception : impossible d’accéder à l’Agneau mystique, à Gand, ou au trésor de la cathédrale de Tournai (quand il est ouvert…) avec cette carte. Mais l’ensemble de l’offre reste si vaste et si diversifié que vous n’arriverez pas au bout des visites en un an ni en cinq, même en y apportant une énergie maniaque.

Un des avantages de cette carte est que le nombre de visites dans un même endroit n’est pas limité. On peut donc explorer les grands musées près de chez soi par petites sections, sans devoir parcourir tous les couloirs très vite, en une fois, jusqu’à saturation. Ce libre accès permet également d’entrer jeter un coup d’œil dans des musées plus petits ou un peu singuliers, que l’on côtoie parfois depuis des années sans avoir jamais su ce qu’ils contenaient. On peut alors y passer quelques minutes, le temps de satisfaire superficiellement sa curiosité, ou y rester beaucoup plus longtemps si des affinités imprévues avec les collections apparaissent.

Ci-dessous, on trouvera trois exemples de ces musées de taille réduite dont la silhouette fait partie du paysage urbain mais qu’on connaît trop peu, auxquels le PassMusées donne le libre accès.

1° la Porte de Hal, à Bruxelles

Bien qu’il ait été rénové, on dit le lieu menacé de fermeture prochaine, faute de budget et de personnel. C’est donc le moment de s’y rendre, avant qu’il soit trop tard. Le musée de la Porte de Hal se prête pourtant bien à une sortie pas trop longue mêlant culture et délassement. Encore plus s’il y a des enfants ! Tout est là pour les faire rêver : le bâtiment à l’aspect redoutable, l’interminable escalier en vis, et, tout en haut, le chemin de ronde à créneaux d’où l’on découvre le panorama sur le sud-est de la ville. Pour titiller la curiosité et faire songer à des voyages dans le temps, des gadgets ingénieux ont été ajoutés là-haut, des sortes de longue-vue qui permettent de voir le paysage environnant, animé, tel qu’il était à l’époque de Brueghel. L’expérience en dit long sur la croissance démographique et l’urbanisation intensive des derniers siècles.

Les objets exposés dans le bâtiment sont tous plus ou moins liés à la défense de la ville et à la sécurité urbaine. La mainmise seigneuriale sur l’armée et sur les ouvrages militaires est évoquée au premier étage, dans la grande salle gothique, avec, en plus du matériel de prestige auquel on peut s’attendre, des pièces qui sortent de l’ordinaire : l’armure d’apparat ainsi que les chevaux empaillés et équipés qui ont servi pour la joyeuse entrée des archiducs Albert et Isabelle venus occuper leur poste de gouverneur à la fin du XVIe siècle, par exemple. Ou, plus intime, le berceau de Philippe le Beau, le père de Charles Quint.

Le deuxième étage est consacré au contre-pouvoir des guildes et corporations bourgeoises, qui ont pris une part toujours plus active dans la défense et la politique de la cité. Cette montée en puissance des marchands et artisans au fil des siècles dans les affaires publiques est montrée ici à l’aide des accessoires luxueux qui étaient les emblèmes de leurs compagnies, de leurs chefs et de leurs champions lors des défilés, concours et autres ommegangs. On remarquera, entre autres, les colliers et les décorations accordées aux plus adroits lors des concours couronnant les entraînements au tir nécessaires à la constitution de milices.

Il n’y a pas des milliers d’objets mais tout y est de qualité, bien choisi, bien présenté, bien éclairé. Et une exposition temporaire complète les collections. Actuellement, elle montre des petits théâtres en papier, qui permettaient jadis de reconstituer et rejouer à domicile contes et pièces à la mode.

 

 

2° le Trinkhall Museum, à Liège

© Ville de Liège – Urbanisme, Jean-Pierre Ers

Un autre de ces lieux emblématiques que les passants et riverains connaissent de vue sans y être obligatoirement entrés est le Trinkhall Museum, à Liège. Il se trouve dans un bâtiment à l’aspect futuriste posé dans le parc d’Avroy, à Liège, près de la gare et d’un des grands boulevards de la ville.

Il présente des œuvres de cet art dit « brut », œuvres créées par des psychotiques, des artistes souffrant de handicaps mentaux et par d’autres personnalités fragiles que l’on classe généralement en marge de la société. Poussez la porte des lieux sans a priori, sans vous attarder devant les étiquettes et les classements, sans chercher à savoir si tel dessin provient d’un artiste authentiquement « brut » ou d’un peintre plus ou moins reconnu et professionnel venu confronter son travail aux artistes des ateliers protégés. Le jeu est ici de se rendre aussi disponible que possible à l’inconnu, à la surprise.

L’art contemporain professionnel nous a de toute façon habitués à tous les excès, aux bizarreries, aux montages minimalistes ou à la quasi-vacuité des espaces et des contenus. En comparaison, ce qui est montré ici peut se révéler immensément plus touchant, plus direct, plus véridique, dans le sens où il ne s’agit souvent pas d’objets fabriqués pour un marché mais de créations venues du plus profond de l’être et accouchées tant bien que mal, au gré de l’habileté ou du savoir-faire de chacun.

Certaines techniques s’avèrent particulièrement adaptées à la situation des auteurs, comme la gravure sur lino, par exemple, qui combine une phase entièrement spontanée au moment de la création de la matrice originelle en linoléum avec une autre phase très technique, très maîtrisée, souvent effectuée par un assistant, au moment du tirage. Ces deux étapes distinctes permettent de donner au résultat un bel équilibre entre un côté formellement impeccable et un autre plus improvisé, vécu.

L’accrochage actuel du musée, agréablement varié, est par ailleurs d’une qualité remarquable. Chaque œuvre y est à la fois une proposition insolite et une réussite plastique. On ne peut que recommander la visite qui en surprendra plus d’un.

3° l’Hôtel de ville d’Audenarde

La célèbre silhouette de l’hôtel de ville d’Audenarde domine le paysage du centre urbain, particulièrement radieuse quand viennent l’illuminer les premiers rayons du soleil. Mais ici aussi, les murs cachent un musée attachant, à taille humaine, qui ne demande pas une visite tournant au marathon.

Comme plusieurs autres endroits de la région, Audenarde a connu pendant un moment, au 16e siècle, une industrie du luxe assez prospère, centrée sur la tapisserie. Ce centre de production, de même que ceux d’Enghien et Grammont, s’était spécialisé dans des tapisseries ornées de scènes de genre ou de scènes mythologiques un peu conventionnelles entourées de somptueuses bordures montrant des fleurs, des fruits, de menus animaux et de la végétation en tout genre.

Cette verdure, qui faisait l’image de marque et la réputation des ateliers, finissait parfois par envahir tout le champ de l’image. Dans quelques cas, pour varier l’offre, on choisissait comme sujets des scènes très étranges montrant des animaux fantastiques que ne désavoueraient pas les créateurs de jeux vidéo contemporains. Le visiteur se promène donc (dans une faible lumière pour protéger les couleurs très fragiles) parmi des représentations d’une nature exubérante, où des salades et des chardons géants peuvent abriter des daims et des perroquets, et où des guirlandes de fleurs et de fruits gigantesques peuvent être portées ou escaladées par de minuscules personnages.

Le parcours est complété, à d’autres étages et sous des combles impressionnants, par une collection de peintures et d’argenterie et par une présentation de la région des « Ardennes flamandes ».

 

 

Conclusion

Il ne s’agit là que de trois propositions mais il en existe des centaines d’autres sur la carte interactive du site du PassMusées. Pour une sortie hivernale, près ou loin de chez soi, avec des enfants ou entre adultes, dans le domaine des arts ou dans celui des sciences, qu’on penche plutôt pour les iguanodons de Bernissart, pour l’aquarium de Liège, pour le musée en plein air de Bokrijk ou pour les miniatures de la bibliothèque des ducs de Bourgogne, on trouvera toujours dans ce vaste catalogue quelque chose d’intéressant ou d’imprévu.

Et puisque les fêtes sont à nos portes au moment où cet article est rédigé, pourquoi ne pas envisager d’offrir la carte en cadeau ?

Texte et images D. LYSSE © 11-2022
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Randonnées pour l’automne par le train

L’automne est une saison très agréable pour la randonnée… à condition qu’il fasse sec. Parmi les itinéraires accessibles en train, au départ comme à l’arrivée, voici trois propositions qui, cette fois encore, longent des rivières ou d’anciens canaux, loin de la circulation automobile : la Dendre de Grammont à Ath ; l’ancien canal du Centre depuis La Louvière jusqu’à Mons ; et le canal joignant Malines à Louvain.

1° La Dendre de Grammont à Ath, 22 km

C’est l’un des itinéraires les plus agréables qu’on puisse choisir pour ces promenades d’une journée. Le cours de la rivière est resté très sinueux, très peu rectifié. Il offre des vues perpétuellement changeantes, et le paysage le long des berges est assez préservé. À l’automne, lorsque la brume s’élève du cours d’eau ou transpire des champs, les levers de soleil à contre-jour sont assez féeriques. Ce qui justifie, d’ailleurs de partir de Grammont et de marcher dans le sens nord-sud plutôt que dans l’autre, en partant d’Ath.

La faune est aussi très variée, pas trop nerveuse, et se laisse observer, du moins avant le début de la chasse. Pour ceux qui disposent d’un bon matériel de photo, c’est l’endroit idéal pour immortaliser des biches, des chevreuils, des faisans, des hérons, des cormorans, d’innombrables poules d’eau et canards. Même ceux qui, comme moi, n’utilisent qu’un petit appareil de poche vont se sentir doués pour les clichés animaliers. Le vrai défi, pour les photographes les plus adroits, c’est de capter une trace des furtifs martin-pêcheurs, qu’on reconnaît en vol à leurs ailes d’un bleu éblouissant mais qui ne s’attardent jamais à la vue.

À peu près à mi-parcours, sans quitter les bords de la rivière, à Lessines, le promeneur aura le plaisir de longer les beaux bâtiments de l’ancien hôpital Notre-Dame à la Rose. La visite du musée, consacré à la vie religieuse et médicale du passé, peut s’avérer assez difficile pour des marcheurs qui veulent continuer ensuite leur balade pendant une douzaine de kilomètres : il n’ouvre qu’à 14 heures, ce qui obligerait à terminer la promenade assez tard, et le prix d’entrée peut décourager. Cela n’empêche pas de contempler le bâtiment de l’extérieur, et de voir notamment le très riche jardin des plantes médicinales, en accès libre, de l’autre côté de l’édifice.

L’arrivée à Ath permet de traverser la ville pour rejoindre la gare et de jeter un coup d’œil au passage à une curieuse, très archaïque (et très restaurée) forteresse des comtes de Hainaut, transformée en maison de la culture.

2° L’ancien canal du Centre, de La Louvière à Mons (23 km)

Rejoindre l’ancien canal du Centre depuis l’arrière de la gare de La Louvière oblige à longer un moment une grand-route sans charme mais, à peine sur le chemin de halage, le décor change. En effet, cette voie d’eau est désaffectée depuis qu’a été creusé le canal à grand gabarit qui la double, à peu de distance, et le promeneur circule à travers des paysages redevenus très paisibles, bordés régulièrement de petites maisons ouvrières en briques sous de grands arbres

Pendant les douze ou treize kilomètres qui suivent, nous sommes conviés ici à de l’archéologie industrielle. Les ouvrages d’art qui parsèment le trajet étaient à la pointe du progrès, à la fin du 19e siècle : ponts-levis métalliques à balancier pour les routes étroites, ponts tournant pour les chaussées plus importantes et, surtout, plusieurs ascenseurs à bateaux qui permettaient de corriger des dénivellations impressionnantes.

Le rythme de la marche est ici très bien adapté et permet de découvrir ces architectures lentement, sous divers angles et éclairages. Si la porte est ouverte (elle l’était lors de mon passage), cela vaut la peine d’aller jeter un coup d’œil à une partie de la machinerie de l’ascenseur numéro trois, à Bracquegnies. On y voit d’énormes engins arborant fièrement les noms d’industries qui ont fait de notre pays un des plus riches du monde, au dix-neuvième siècle, et qui sont aujourd’hui disparues (ou qui sont devenues périphériques dans de vastes conglomérats transnationaux).

Un peu plus loin, sur le nouveau canal, c’est le nouvel ascenseur à bateau de Strépy-Bracquegnies qui impressionne en dominant de sa masse énorme tout un morceau de village : récemment construit, il remplace à lui seul tous ceux qu’on a croisés jusqu’ici, et permet le transit de péniches aux tonnages autrement plus imposants. Les derniers pont-levis et machineries anciennes, avec leurs dentelles de fer, semblent des jouets en comparaison, des objets pittoresques.

Les deux dernières heures du trajet, quand on quitte l’ancienne voie d’eau pour longer le large canal moderne sont d’un intérêt plus réduit, en comparaison. Et comme on arrive à Mons par le plan d’eau dit « le Grand Large », qui se trouve du côté de la gare, il est difficile de se motiver encore pour aller faire un tour sur la grand-place ou pour monter au parc du beffroi : après 23 bornes, rares sont ceux qui se sentiront le pied suffisamment léger, on pense plutôt à reprendre un train pour rentrer à la maison.

3° Le canal Malines-Louvain (26 km)

Très facile d’accès depuis la gare de Malines, qui se trouve quasiment au bord de la voie d’eau, ce canal, largement désaffecté et donc très tranquille, lui aussi, est plus récent que le précédent. Il traverse par ailleurs des régions qui sont plus densément peuplées et plus industrieuses. L’ensemble du trajet en est moins pittoresque, et l’aspect sportif est à envisager d’abord, dans ce cas : on peut circuler d’un bon pas, sans risquer de se perdre, tout en restant à une certaine distance de l’urbanisation galopante et du trafic automobile (dont le bruit ne s’arrête pourtant jamais complètement).

Les sportifs du coin ne s’y trompent d’ailleurs pas et le chemin de halage est assez fréquenté, par des promeneurs de chiens, qui font quelques kilomètres, par des cyclistes, individuels ou en vastes clubs, qui passent parfois à grande vitesse, et aussi par des pêcheurs qui viennent à vélo ou à motocyclette installer tout un campement pour la journée.

Il est important ici de prendre avant le départ quelques clichés de l’itinéraire sur « https://www.vlaanderen-fietsland.be/nl/routeplanner » ou, au moins, sur place, de regarder attentivement les indications pour les randonneurs et les vélos. En effet, dans la deuxième moitié du parcours, vers Louvain, une seule des deux rives est aménagée d’un bout à l’autre pour les promeneurs, l’autre est interrompue par des installations industrielles qui forcent à un contournement long et peu pratique. Il importe aussi d’avoir agrandi le plan de l’arrivée à Louvain. Il n’est pas évident, en effet, de rejoindre la gare au plus court depuis le canal, et les trois derniers kilomètres ne sont pas les plus agréables, dans un environnement urbain de ponts routiers et ferroviaires, et de voies d’accès rapides pour les voitures.

Bonne(s) promenade(s) !

Texte et images D. LYSSE © 10-2022
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Train et rando : la Sambre, de Namur à la frontière française

Parmi les itinéraires de randonnées accessibles en train, au départ comme à l’arrivée, il faut évidemment signaler beaucoup de routes, cyclables et pédestres, qui longent les voies d’eau navigables. Elles sont souvent reprises dans les propositions des GR, ainsi que dans les « fietsroute », en Flandre (https://www.vlaanderen-fietsland.be/nl/routeplanner), ou, en Wallonie, dans le réseau RAVEL qui suit souvent les anciens chemins de halage, le long des cours d’eau, et les voies de chemin de fer désaffectées (https://ravel.wallonie.be/home/carte-interactive.html).

Je propose, dans les paragraphes qui suivent, de remonter la Sambre à pied, par étapes de 20 à 25 kilomètres, depuis son confluent avec la Meuse, à Namur, jusqu’à Erquelinnes, à la frontière française.

1° Namur – Jemeppe-sur-Sambre

La première étape, entre Namur et Jemeppe-sur-Sambre, ne manque pas d’intérêt, même si l’eau de la rivière n’y est plus vraiment limpide et si la canalisation à grand gabarit ne laisse pas place à beaucoup de fantaisie. Sur le trajet, on ne manquera pas de jeter un coup d’œil à l’ancienne abbaye de Floreffe, devenue une école supérieure.

Si on a de la chance, on pourra en visiter l’église. Les stalles y sont vraiment remarquables, résultat d’un travail extrêmement minutieux et laborieux (tous les délais de commande et les budgets avaient été, à l’époque, largement dépassés). On y remarquera à la fois la belle ordonnance classique des saints et des prophètes dans leurs niches, et puis la prolifération des grotesques dans les zones moins officielles, miséricordes ou supports de statues, qui ne pourront manquer de retenir l’attention de ceux que les représentations plus officielles laissent indifférents.

C’est éventuellement l’occasion de goûter la bière locale, servie en bas de l’abbaye, en se rappelant qu’il reste pas mal de kilomètres à parcourir. En fin de trajet, la gare de Jemeppe est malheureusement d’un accès difficile depuis le chemin de halage, quand on arrive depuis Namur, obligeant à de longs détours ou à des passages par des raccourcis pas très officiels.

2° Jemeppe – Charleroi (ou Marchienne-au-Pont)

La suite du trajet, de Jemeppe-sur-Sambre vers Charleroi puis Marchienne-au-Pont, est d’un intérêt plus restreint pour les amateurs de verdure et d’environnements naturels : on traverse ici des paysages industriels en pleine reconversion. Ceux que passionne ce genre d’expérience urbaine pourront alors essayer la section du GR 412 dite « boucle noire »: un parcours d’une journée complète dans les faubourgs industriels de Charleroi, entre terrils, canal et usines (voir : « https://grsentiers.org/ », en cliquant vers le bas de la colonne de droite pour trouver la carte interactive et agrandir sur la zone Charleroi).

3° Landelies – Thuin

Pour ceux qui seraient plutôt épris de nature, on ne peut que recommander de sauter l’étape la plus urbaine et d’emprunter plutôt, depuis Charleroi, la ligne SNCB 130a, en direction d’Erquelinnes, pour descendre au deuxième arrêt, à Landelies. Ils pourront suivre ensuite dans la verdure le cours de la Sambre vers le sud. C’est la promenade classique des habitants du coin, les samedi et dimanche après-midi.

On ne manquera pas, sur le chemin, de s’arrêter à l’abbaye d’Aulne, mise à sac par les armées révolutionnaires françaises. Même si l’entrée du site reste assez confidentielle et semble plutôt mener à des salles de réception privées, les ruines s’en visitent librement. Ce serait dommage de ne pas faire le détour depuis la voie d’eau, quelques kilomètres après Landelies : il y a un côté immensément romantique aux vues de la végétation prenant d’assaut des chevets gothiques aux verrières finement nervurées.

En fin de journée, on pourra reprendre le train dans l’autre sens à Thuin, tout en n’oubliant pas de faire un petit tour en ville. Thuin vaut surtout pour son site, avec un relief aigu couronné de remparts ou de hautes constructions remplissant une fonction défensive. Elle est surmontée par un beffroi qu’on voit de loin à la ronde, en haut duquel on peut monter (conditions voir office de tourisme).

4° Thuin- Erquelinnes

En quittant Thuin, le long de la Sambre, sur la rive droite en direction de la frontière, après trois ou quatre kilomètres, on peut prendre un sentier qui mène jusqu’à Lobbes, où se trouve la plus ancienne église de Belgique. L’abbaye de Lobbes fut longtemps un des centres de la vie intellectuelle jusque très loin à la ronde, avant d’être déclassée par la montée de la culture urbaine puis d’être emportée et détruite par la tourmente révolutionnaire. L’église, dans son état actuel, date en grande partie de l’époque romane et présente encore un plan très archaïque, à deux niveaux, avec un chœur surélevé surplombant une crypte remontant plus ou moins à l’an mille.

Au-delà, même si la Sambre reste sommairement canalisée, le paysage devient exclusivement champêtre, vert. C’est la plus belle section du trajet, qui évoque des visions de paix et d’harmonie chez le promeneur venu de la ville (et sans doute moins chez les fermiers qui travaillent dans les champs et les grosses fermes qui s’égrènent au fil des kilomètres). Après avoir traversé quelques très beaux villages, on trouvera la gare d’Erquelinnes presque en bord de rivière.

5° Thuin – Berzée

Depuis Thuin, une offre de promenade supplémentaire consiste à rejoindre, en une vingtaine de kilomètres, par le RAVEL, la gare de Berzée, située sur la ligne Charleroi-Couvin. (Attention, un train toutes les deux heures sur cette ligne, le week-end. Il peut alors être prudent de faire le trajet dans le sens Berzée-Thuin : en marchant, on est maître de son heure de départ plus que de son heure d’arrivée ! Et des travaux sont prévus par Infrabel fin août.)

Après quelques kilomètres, à Biesme-sous-Thuin, bien avant de franchir par un tunnel la grand-route vers Beaumont, on jettera un coup d’œil à un moulin qui a gardé un certain charme. De l’autre côté de la route nationale, la traversée de Thuillies n’est pas bien passionnante mais les derniers kilomètres, du côté de Berzée, offrent des vues sur de larges paysages champêtres dont l’aspect varie au cours des heures et des saisons. Et l’arrivée sur l’énorme ferme-château et sur l’église gothique de Berzée impressionnent agréablement, après ces vastes étendues désertes.

Bonnes promenades !

Texte et images D. LYSSE © 08-2022
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Quatre randonnées accessibles par le train : de Ham-sur-Heure à Couvin

Pas besoin d’aller jusque dans les Alpes ou dans le Massif Central pour faire de la randonnée : quand le temps est ensoleillé, notre petit pays offre des promenades nombreuses et variées. Les sentiers de grande randonnée et les itinéraires balisés genre Ravel permettent d’y découvrir des paysages et des lieux peu connus, mais il n’est pas toujours facile de les emprunter sur des distances un peu ambitieuses, faute d’arriver à rentrer chez soi à la fin du trajet. Parfois, si on a de la chance, une ligne de train recoupe le chemin à intervalles réguliers et on peut alors débarquer le matin à pied d’œuvre et/ou revenir le soir sans difficulté.

C’est le cas, par exemple, de la ligne 132 de la SNCB, qui relie Charleroi à Couvin et recoupe régulièrement le GR12 Amsterdam-Paris. Je propose d’en examiner de plus près quatre étapes de vingt à vingt-cinq kilomètres, entre Ham-sur-Heure et les environs de Couvin, qui peuvent se faire en quatre jours successifs ou, plus aisément, une à la fois, de temps en temps, au hasard de la météo et des loisirs disponibles.

Elles font traverser des paysages paisibles, généralement peu fréquentés, vallonnés, entre champs et forêts, avec régulièrement des curiosités naturelles ou culturelles : châteaux, fermes-châteaux, églises classées, réserves naturelles… (On peut consulter les horaires du train sur le site de la SNCB « https://www.belgiantrain.be/fr », et la carte interactive des GR à l’adresse : « https://qgiscloud.com/grsentiers/Reseau_GR_wallon/ ».)

1. De Ham-sur-Heure à Walcourt

Propriété de la famille de Mérode depuis le XVe siècle, le château de Ham-sur-Heure mérite un petit détour, depuis la gare, avant de se mettre en route : devenu maison communale, c’est le plus accessible de tous ceux des environs. On y circule librement dans les jardins et, en demandant à l’accueil, on peut voir, à l’intérieur, en haut du grand escalier, quelques vitrines retraçant l’histoire, parfois tragique, de ses derniers propriétaires.

Plus loin, grimpant et redescendant aux flancs de la vallée de l’Eau d’Heure, le chemin balisé propose de larges trajets en forêt puis dans les champs. Il traverse les villages de Berzée puis de Thy-le-Château, dominés par d’énormes fermes-châteaux et nantis d’églises historiques, mais aussi des hameaux plus discrets, isolés dans la verdure, comme Pry. À Thy-le-Château, il y a moyen de se restaurer ou de boire un verre. Ailleurs, il est plus prudent d’avoir emmené du pique-nique. La gare de Walcourt, à l’arrivée, se trouve un peu avant le village.

2. De Walcourt à Philippeville

La basilique de Walcourt mérite une visite approfondie. Le jubé, qu’on dit avoir été offert par Charles Quint, n’a pas été démonté, contrairement à beaucoup d’autres, et propose encore toute sa riche ornementation au passant. Quant aux stalles, elles sont ornées de motifs grotesques absolument réjouissants. L’église abrite également un trésor: une grande croix réalisée au Moyen Âge par l’orfèvre Hugo d’Oignies, qui était un cadet de la famille de Walcourt (voir à son propos, sur ce site, l’article « https://www.ajpbe-vbbjpp.eu/blog/2020/07/02/le-tresor-doignies-temoin-de-trois-vies-hors-du-commun/»).

Malheureusement, comme beaucoup des œuvres d’art qui sont propriétés de fabriques d’église en Wallonie, elle n’est visible que par intermittences, lors d’une visite organisée ou au hasard de la présence d’un sacristain dans les lieux, et de sa disponibilité.

Le trajet s’engage ensuite dans des terrains cultivés ou des prairies, empruntant parfois des chemins creux, encaissés et ombragés, et laissant aussi découvrir de vastes étendues silencieuses. Jusqu’à Yves-Gomezée, il est particulièrement agréable. Un peu moins pour les sept ou huit derniers kilomètres, après avoir traversé la nationale 5, où le cheminement sur un plateau très uniforme, le long d’une carrière puis entre des monocultures parfaitement planes, s’avère plutôt monotone.

3. De Philippeville à Mariembourg

Dès qu’on quitte Philippeville par le sud, peu après la gare, le paysage retrouve tout son charme.  Pas de monuments historiques, ici, mais des vues toujours nouvelles sur une campagne restée très variée, semée de petites agglomérations en pierre et de grosses fermes, par des chemins larges et des routes tranquilles où ne passent que peu de véhicules. Le tout petit village de Roly se détache particulièrement, avec sa ferme-château, son vieux lavoir en pierre et sa petite place bordée d’arbres.

C’est l’endroit où prendre des photos de nature, éperviers posés au faîte des arbres, grenouilles, papillons et petites fleurs en tous genres. De Roly à Fagnolle, le GR fait de longs détours pour s’écarter de la route goudronnée et passer par les endroits les plus notables du coin. Mais la circulation est très éparse et peu gênante sur cette route – des travaux, fin juillet 2022, bloquaient carrément tout le trafic. Cela vaut donc la peine, pour ceux qui veulent gagner quelques kilomètres, d’envisager de suivre tout bonnement le macadam à travers la forêt pour arriver plus frais à la gare de Mariembourg.

4. Autour de Mariembourg et Couvin

Pour circuler à pied et voir les curiosités de la région, dont le célèbre « fondry des chiens », à Nismes, la gare de Mariembourg est un meilleur choix que celle de Couvin : elle est située du même côté de la nationale 5 que les objectifs principaux, et il n’y a donc pas à franchir l’autoroute par des ponts ou des tunnels à l’approche souvent peu agréables pour des marcheurs.

On s’écarte du GR12 pour cette étape. De Mariembourg, on peut gagner, par des petites routes pas trop fréquentées, même en été, le village de Nismes, puis monter au « fondry des chiens ». C’est un effondrement creusé par l’érosion souterraine dans le massif calcaire, qui se présente actuellement sous l’aspect d’un énorme trou au relief très accidenté. Il est entouré de prairies pauvres à la végétation très particulière, presque méditerranéenne, où batifolent des papillons et des insectes un peu rares, protégés par le statut de réserve naturelle. C’est l’endroit le plus « touristique » des itinéraires signalés jusqu’ici, le seul où, les week-end d’été, on risque de trouver trop de monde pour pouvoir en apprécier pleinement le charme et l’étrangeté.

De là, en retraversant le village de Nismes, on peut se rendre à un rocher isolé de la vallée du Viroin, nommé la « roche à Lomme ». À son sommet, assez facilement accessible, la vue est dégagée et porte loin. Puis, retrouvant le GR12 presque au pied du rocher, on peut pousser jusqu’au village de Dourbes ou bien rentrer directement retrouver le train à Mariembourg, selon la fatigue.

5. Quelques conseils

Pas besoin de chaussures particulières, ni de bâtons, ni d’énorme sac à dos, ni de cordes ni de crampons pour ces quatre randonnées, quand on les fait une à la fois. Une paire de sandales confortables, une musette ou un petit sac léger, et le tour est joué. Par contre, prévoir un chapeau et de l’eau en suffisance : un litre et demi, pour la journée, s’il fait chaud. Il n’y a pas des petites épiceries dans chaque village ! Compter une vitesse de cinq à l’heure, arrêts non compris.

Il vaut mieux faire l’effort d’examiner soigneusement la carte du GR avant de se mettre en route, de l’agrandir et d’en photographier les détails principaux, notamment aux abord des gares de départ et d’arrivée. Stocker quelques images du trajet à partir d’un grand écran d’ordinateur pourra se révéler d’autant plus utile que, sur le smartphone, avec les données mobiles, la carte interactive des sentiers est parfois très longue à charger et la manipulation (agrandissements, etc.) en est lente et pas très performante. Puis, en pleine campagne, le relief nuit parfois à la réception du signal.

De façon générale, le marquage est excellent sur tout le trajet ; il est rare de perdre les balises. Petit rappel : sur un GR, une ligne blanche et une rouge parallèles signifient que vous êtes sur le bon chemin ; deux lignes blanches et rouges croisées, à un carrefour, signifient que ce n’est pas la bonne direction ; et deux traits rouges et blancs de longueur normale surmontant deux traits rouges et blancs beaucoup plus courts avec une petite flèche signifie qu’une bifurcation arrive, qu’il va falloir tourner dans le sens indiqué par la flèche.

Bonne promenade !

 

Texte et images D. LYSSE © 07-2022
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Au musée Guimet, à Paris : Miniatures indiennes

On n’a pas souvent l’occasion de voir des miniatures indiennes, surtout depuis que les voyages au long cours sont devenus difficiles avec le Covid. Et même lorsqu’elles font partie de collections européennes, ces œuvres sont rarement montrées : les pigments et les papiers sont fragiles et se détériorent vite à la lumière. À Paris, au musée Guimet, on peut en voir actuellement (et jusqu’au 2 mai 2022) une sélection d’une soixantaine d’œuvres.

L’exposition est intéressante pour deux raisons. Il s’agit souvent de travaux de très grande qualité, dont plusieurs ont été peints sur commande expresse des empereurs moghols et de leur entourage. Et le fil conducteur choisi est insolite : présenter à travers l’illustration diverses formes d’ascétisme qui ont fleuri en Inde depuis les lointaines origines jusqu’aux développements dans le yoga et le soufisme musulman.

 

Ces images sont loin d’être toujours austères, contrairement à ce que peut laisser attendre un thème pareil ! Très vite, comme souvent en Inde, la richesse de l’imaginaire mythique et poétique vient se mêler à la rigueur des pratiques liées au renoncement. On retrouvera donc ici des scènes du Ramayana et du Mahabharatta où des rois, des princes et des princesses rendent visite à des ermites. Et aussi des vues presque paradisiaques d’ermitages situés dans la forêt ou au pied des montagnes, dans une nature qui est à moitié réaliste et à moitié onirique, enjolivée par les artistes de cour.

 

Très proches de la poésie et du rêve, aussi, sont les représentations de miracles accomplis par les ascètes. Non contents de conseiller les souverains ou d’accueillir les princes et princesses sur le chemin de l’exil, les ascètes réalisent parfois des prouesses métaphysiques, comme de boire l’océan, le temps qu’on déloge des abysses les démons qui s’y dissimulaient. Parfois, ils sont plutôt savants, rassemblant autour de leurs cabanes, en plus des étudiants, des lettrés et des érudits.

Les femmes ne sont pas absentes de ces images. Des yoginis s’y transmettent l’enseignement et la discipline de la renonciation. Parfois, plus bizarrement pour nous, on voit Shiva, prototype divin de l’ascète transgressif, à la limite des normes sociales, travailler de conserve avec son épouse pour préparer du bhang, de la pâte de cannabis.

Plus sagement, l’exposition se conclut avec des représentations de postures de yoga commandées par le futur empereur Jahangir, descendant de guerriers turco-mongols islamisés, mais remarquablement ouvert à toutes les composantes culturelles de l’immense territoire conquis par ses ancêtres. On verra aussi le portrait du malheureux Dara Shikoh, petit-fils de Jahangir, protecteur et familier des ascètes de toutes obédiences. Dans la lutte de succession au trône, cet adepte et promoteur d’un multiculturalisme tolérant fut accusé d’hérésie et d’apostasie puis assassiné par son frère, le futur empereur Aurangzeb, champion de ce qu’on appellerait sans doute aujourd’hui la tendance intégriste.

Pour ceux qui veulent prolonger la visite, quelques miniatures indiennes sont également montrées à l’étage inférieur, avec toujours ce mélange entre la figuration très narrative, proche du concret, et l’imaginaire, entre mythologie officielle et fantaisie ajoutée par le savoir-faire de l’artiste. De l’école de Bundi, on peut ainsi voir une scène où une princesse repose, mélancolique et indifférente au luxe qui l’entoure, rêvant à quelque amoureux qu’elle voit passer, glorieux, sur son cheval, devant le couchant, dans l’inaccessible ciel de son imagination.

Les immenses collections du musée, qui couvrent toute l’Asie, sont ensuite à disposition du visiteur, ainsi que le restaurant qu’on ne peut que recommander : un des bons asiatiques de Paris pour des prix raisonnables. Et à partir du 16 mars 2022, la grande exposition du printemps, consacrée à la figure du samouraï et à l’imaginaire guerrier au Japon.

texte et images D. LYSSE © 05-2022

Info : www.guimet.fr

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A Genève, révolution dans un vieux musée

texte et images D. LYSSE ©

Genève, patrie du calvinisme, n’a pas la réputation d’être la ville la plus amusante du monde. Et si on pense à une sortie débridée, divertissante, la première option qui passe par l’esprit n’est peut-être pas un musée d’Art et d’Histoire installé dans un pompeux bâtiment du dix-neuvième siècle. Mais il ne faut pas se fier aux clichés et aux apparences ! Du moins jusqu’en juin, le musée d’Art et d’Histoire de Genève est le théâtre d’une expérience particulièrement amusante, attrayante, surprenante. Les conservateurs en ont peut-être eu assez, un matin, de la présentation traditionnelle, chronologique, en commençant avec la Mésopotamie et l’Égypte ancienne pour arriver à Renoir puis au vingtième siècle. Ils ne supportaient peut-être plus de voir tous les jours les mêmes tableaux, les mêmes sculptures et les mêmes vases grecs mis en vedette aux cimaises et dans les vitrines.

Alors ils ont réexaminé tout leur stock, chefs-d’œuvres, œuvres secondaires, et puis tous ces trucs et ces bidules mis en réserve, qui ont pu être jugés un jour dignes d’être conservés, ou offerts au musée, sans qu’on sache trop bien qu’en faire ensuite. Ils ont choisi là-dedans un très large échantillon puis ils l’ont accroché pêle-mêle, en se fiant à leur inspiration, à leur sens de l’humour, à un thème, à un mot-clé, à des associations d’idées, de formes, de couleurs ou de matière.

Une salle, par exemple, regroupe des pots de toutes les époques et de toutes les origines rangés plus ou moins par ordre de taille ou par matériau pour former un immense serpent. Ailleurs on trouve une sorte de brocante de rêve, avec un déluge de costumes, de dentelles, d’horloges, d’argenterie, d’instruments de musique et d’objets insolites agrémentés d’authentiques et précieuses œuvres d’art, et aussi de moulages en plâtre qui ont dû servir pour des écoles, il y a longtemps. Ce long couloir-là, où tout est classé par couleur, possède un charme fou. C’est une caverne d’Ali-Baba, un piège où les yeux peuvent s’égarer, isoler un objet, puis un autre, puis revenir à l’ensemble avec délectation.

La visite suppose d’ailleurs une certaine rééducation du regard. Le visiteur est incité à faire confiance à son jugement et à ses affinités spontanées sans se laisser impressionner par un nom, prestigieux ou méprisé, inscrit sur une étiquette. Si on veut absolument connaître l’auteur ou la provenance précise de quelque chose, il faut parfois chercher un peu, trouver les répertoires dispersés dans les salles. Mais on se rend compte que, finalement, c’est secondaire : qu’importe s’il s’agit de Picasso ou de Tartempion, pourvu qu’on ait été touché, surpris, envoûté, ou qu’on ait ri.

Typique de la présentation est une salle où ne figurent que d’austères grandes pièces de tissu ou de peintures avec des rayures. De l’abstrait sans concession, des carrés et des lignes, pour les amateurs d’extrême dépouillement. On peut supposer que, pendant le montage, un des membres de l’équipe a dû lâcher une fine plaisanterie du genre : il ne manque vraiment plus qu’un zèbre, là-dedans ! Et tout le monde, autour de lui, a dû s’écrier : mais oui, tout à fait, quelle idée géniale ! Et téléphoner illico au muséum d’histoire naturelle pour qu’on leur prête l’animal empaillé.

Le zèbre contemple maintenant de ses beaux yeux de verre le public ébloui par tant de liberté dans la présentation, ou râlant du manque de respect pour les plus pieux souvenirs. Il faut reconnaître que les vénérables collections en prennent un insolent coup de jeune, au point qu’on les parcourrait presque en skateboard, pour le fun. Cerise sur le gâteau, pour que chacun se sente le bienvenu, le prix d’entrée est laissé à l’appréciation du visiteur, entre zéro et un million.

Pour le spectateur, cela représente une fascinante expérience. On découvre qu’une mamie un peu guindée, connue plutôt pour son bon goût, peut aussi faire des grimaces et animer une fête avec des blagues incroyables. C’est d’autant plus beau que c’est provisoire : on sait bien qu’elle n’a pas sombré dans la folie mais qu’après ce joyeux moment de détente, elle redeviendra l’honorable vieille dame pleine de sagesse et un peu cérémonieuse qu’on a toujours connue. On ne l’en aimera que mieux. Une idée dont on pourrait s’inspirer…

 

Pour des informations pratiques et le site du « Musée d’art et d’histoire » appuyez ici

Février 2022
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Le Cinquantenaire, un musée taille XXL

texte et images D. LYSSE ©

En ce début d’été pluvieux, pour ceux qui restent en Belgique, c’est peut-être le moment d’aller voir ou revoir, à Bruxelles, un musée à la taille extra-large : le musée du Cinquantenaire.

Vouloir en faire un inventaire rapide, en s’en tenant aux chefs-d’œuvres et en passant rapidement par tous les couloirs pour jeter un vague coup d’œil au reste, risque d’être une expérience un peu décevante dans la mesure où l’on n’est pas ici au Louvre ni au Brittish Museum. Pas de Nefertiti, pas de casque de Sutton Hoo, pas de Vénus de Milo ni de frises du Parthénon. Par contre, dans toutes les sections, on trouvera nombre de pièces attachantes mais plus discrètes, qui demandent une visite plus attentive, un regard moins pressé et plus affectueux pour livrer leur richesse.

Pour ceux qui peuvent se permettre le luxe de revenir au musée, qui ne sont pas des étrangers de passage ou qui ne doivent pas rentabiliser au maximum le prix du billet d’entrée, on ne saurait assez recommander de s’en tenir à une partie bien délimitée des collections. Pour cela, on peut diviser, en gros, le musée en trois morceaux. Une aile concerne l’Antiquité classique, Rome, la Grèce, le bassin méditerranéen, le Proche et le Moyen-Orient. Les salles situées au milieu du bâtiment regroupent les civilisations plus lointaines, essentiellement l’Asie et l’Amérique anciennes. Et une autre aile contient tout ce qui concerne le territoire qui est aujourd’hui la Belgique, depuis l’âge de la pierre jusqu’à l’art nouveau et l’art déco.

Antiquité et Proche-Orient

L’Égypte, la Grèce et Rome sont les secteurs les plus visités. La présentation en est pourtant datée : elle devrait être totalement rénovée dans deux ans (à en croire des bruits de couloir). Ceci dit, même si certaines vitrines sont peu attrayantes, avec un éclairage au néon qui perturbe les appareils photo, les collections restent belles, avec un grand choix de vases peints, côté grec, des mosaïques, un très beau bronze monumental et quelques bustes-portraits énergiques d’époque romaine puis des sarcophages à momies, une chambre tombale transportée en entier depuis le Nil, des inscriptions en hiéroglyphes et autres statues de pharaons de toutes les époques, côté égyptien.

Cela vaut la peine de lire les notices et, à côté des pièces auxquelles on peut s’attendre dans ce genre de section, on en trouvera d’autre plus insolites, même si elles sont peu spectaculaires, comme cette lettre en écriture cunéiforme sur une tablette d’argile où un pharaon demande comme tribut à un vassal palestinien quarante femmes pour son harem, qui soient bonnes musiciennes et sans défaut de beauté.

Dans cette aile-là, ce qu’il ne faut pas manquer, parce que la présentation est impeccable et que les objets montrés sont parfois peu courants, ce sont les sections Moyen-Orient antique et monde islamique. Bizarrement, bien qu’elles soient très vastes, ces salles sont renseignées de façon totalement confidentielle. Voilà au moins une piste pour arriver aux collections syrienne et mésopotamienne : il faut descendre au sous-sol et chercher la porte vitrée sur le côté de la maquette de Rome, en face des écrans vidéos bavards.

Là aussi, des pièces un peu bizarres mais discrètes peuvent révéler beaucoup sur la mentalité d’époques éloignées, comme ces bols magiques qu’on enterrait dans les fondations des maisons, il y a une douzaine de siècles, chez les Mandéens, où un démon était représenté schématiquement, pieds et poings liés, entouré de formules propitiatoires qui protégeraient le bâtiment contre l’intrusion de créatures métaphysiques malfaisantes. Dans les vitrines proches de l’entrée, les petits bronzes très pittoresques, pour les mors de chevaux, ou assez mystérieux, pour les figures composites du Luristan (dans l’actuel Iran), forment un ensemble assez remarquable.

La section des arts de l’islam montre un vaste choix d’œuvres plus ou moins abstraites, poteries, textiles, tapis ou armes de prestige, et aussi beaucoup de pièces figuratives venues de ces régions (surtout l’Iran et sa très vaste aire culturelle) où l’interdiction religieuse des images a été vite contournée, permettant la floraison de riches écoles de miniature ou de peinture sur céramique.

Asie et Amériques

Dans la partie Asie et Amériques, je recommanderais de commencer la visite par la section américaine, au rez-de-chaussée. La collection Janssens a été montrée dans ces salles pendant un temps mais, propriété de la communauté flamande qui l’a reçue en paiement de droits de succession, elle est maintenant exposée à Anvers. Le Cinquantenaire possédait par ailleurs un vaste fond concernant ce domaine et, sauf du côté de l’orfèvrerie, il offre actuellement une sélection qui reste aussi passionnante pour le visiteur. On retrouvera donc ici toutes ces représentations d’êtres divins ou, plus banalement, de personnages civils occupés à leurs tâches particulières, images qui peuvent se montrer très touchantes pour peu qu’on prenne le temps de s’accoutumer à leurs formes peu familières (et à des dénominations déroutantes comme Huitzilopochtli !).

Les enfants et ceux qui ont gardé leur âme d’enfant s’émerveilleront alors de trouver ici des têtes réduites jivaro ou bien le fétiche arumbaya de l’album L’oreille cassée des aventures de Tintin, ou la momie de Rascar Capac, la seule a avoir été conservée dans sa vitrine ancienne, exactement comme l’avait vue Hergé quand il l’a dessinée dans Les sept boules de cristal. À l’étage supérieur, ils retrouveront le très beau Shiva dansant, en bronze, du sud de l’Inde, devant lequel un Indien voulait trancher la tête à Milou dans Les cigares du pharaon. L’usage qu’a pu en faire Hergé montre, au passage, à quel point ces collections ont potentiellement une vie propre et peuvent être regardées d’une manière créative : tout dépend vraiment de l’œil et de l’état d’esprit du visiteur !

Belgique

Quant à la partie « histoire de Belgique », c’est évidemment les sections dans lesquelles le musée excelle, où il n’a de concurrence dans aucune autre capitale. Avec le handicap que notre petit territoire a été longtemps très périphérique dans l’histoire du monde et de la culture. Même si la présentation est impeccable et attrayante, une certaine austérité marque ainsi les premiers millénaires.

Pas d’élaboration grandiose venue de l’âge de la pierre, ici : ni peinture pariétale ni statuette de Vénus fessue. À l’âge du fer, les Celtes ont laissé beaucoup de traces de leur existence dans nos régions, mais il s’agit souvent d’une vie rurale sans réalisation spectaculaire. La conquête romaine a inondé le territoire d’objets de luxe et de demi-luxe amenés par des marchands auprès des riches et des puissants locaux, mais beaucoup étaient fabriqués ailleurs ou alors copiés de modèles importés, sans originalité foudroyante : cela souligne à quel point nous n’étions qu’un lointain territoire frontalier pour l’Empire. Quant aux invasions germaniques, elles n’ont laissé que de pauvres vestiges, quand une épée rouillée, une boucle de ceinture ou une broche incrustée de grenats ou de verroterie font figure de trésor inestimable.

Les spécialistes et les passionnés se régaleront, bien sûr, des artefacts exposés et des explications qui les accompagnent. Mais pour les autres, je conseillerais de laisser pour la fin les premiers millénaires du territoire et de commencer directement la visite aux XIIe et XIIIe siècles, dans la salle dite « du trésor ». On assiste là à la première floraison culturelle d’envergure, dans la région de la Meuse, avec de l’orfèvrerie religieuse. Ceux qui ont lu sur ce blog l’article consacré à Hugo d’Oignies retrouveront deux pièces de sa main ou de son atelier, dont un reliquaire où il témoigne de toute sa vénération pour Marie d’Oignies (et même de sa proximité avec la sainte, quand il inscrit son nom en français sur la dédicace commencée de manière plus officielle en latin).

Ceux qui ont lu l’article sur le musée de la tapisserie à Tournai retrouveront, un peu plus loin, des tapisseries de la cour de Bourgogne montrant, notamment, Hercule en prince de Bourgogne. Ceux qui ont visité le musée dans l’hôtel de ville d’Audenarde retrouveront ici une des tapisseries dites « verdures d’Audenarde ». Juste à côté ils pourront voir une « verdure d’Enghien », exactement comme s’ils étaient allés à Enghien.

À ce point de vue, le Cinquantenaire est comme un résumé de ce qu’on peut voir dispersé dans tous les petits musées thématiques du pays. Il en est le complément nécessaire, d’ailleurs, avec l’avantage qu’il n’y a pas à se déplacer d’une ville à l’autre ni à prendre rendez-vous avec des institutions locales parfois confidentielles ou avec des fabriques d’église ou des trésors de cathédrales aux conditions de visites très limitées, voire erratiques.

L’accrochage au Cinquantenaire, suivant la ligne du temps, fait aussi qu’on perçoit mieux la place que chaque objet occupe dans l’implacable défilement des siècles, des styles et des modes : quelle tendance nouvelle il incarnait à l’époque de sa création et par quelle autre il sera bientôt remplacé, renvoyé au statut de témoin d’époques révolues.

L’inconvénient, inévitable, est que cette accumulation de pièces les rend chacune plus anonymes, les coupe un peu de leur contexte. Les tapisseries des ducs de Bourgogne, par exemple, qui sont la plus grande richesse du musée de Tournai et y sont donc mises en vedette et explicitées avec beaucoup de pédagogie, sont un peu noyées ici. Elles paraissent un peu plus confuses encore quand on les compare aux époques ultérieures, elles semblent vite trop encombrées de scènes et de personnages pour qu’on prenne le temps de les déchiffrer alors que se profile une effrayante enfilade de salles. Bref, elles restent muettes pour la plus grande part du public.

De même, le reliquaire contenant le petit doigt de Marie d’Oignies devient ici une pièce d’orfèvrerie parmi d’autres, peut-être pas la plus belle, d’ailleurs. Et son inscription, qui commence en latin administratif et finit en langue populaire en souvenir d’un contact vécu et concret avec une femme exceptionnelle qui avait bouleversé les destinées de ceux qui avaient côtoyé son petit béguinage, restera pour la majorité du public une ligne d’écriture dorée perdue dans un flot d’inscriptions beaucoup plus conventionnelles et indifférentes courant sur d’autres reliquaires, sur des autels portatifs ou des croix processionnelles. L’accumulation tue un peu la magie individuelle de chaque objet, elle anesthésie un peu la capacité d’attention du visiteur.

Les explications fournies par le musée essaient de trouver le juste milieu entre l’information exhaustive, qui rendrait la visite interminable, et le minimum nécessaire pour arriver à situer les grands et petits mouvements artistiques qui ont rythmé la vie dans nos provinces et qui ont accompagné l’essor de telle ou telle ville, ou le déclin d’une autre. Elles y arrivent assez bien et sont toujours pertinentes.

Difficile de recommander de s’attarder sur une œuvre en particulier : pour celui qui a une certaine familiarité avec les diverses productions des artisans de nos régions, elles ont toutes leur personnalité, leur petite ou leur grande histoire à raconter. Je suggérerais malgré tout au visiteur de s’arrêter un moment devant le grand retable bruxellois en bois sombre sculpté vers l’an 1500 par Jan Borreman et son atelier.

Il raconte le martyre de saint Georges, sujet sans grande surprise pour un ornement d’église. Mais le récit est déjà hilarant, si l’on ose dire à propos de séances de torture, parce que le malheureux Georges y passe de toutes les manières possibles et imaginables, déchiqueté dans une machinerie à roues, brûlé la tête en bas sur un grand feu, bouilli dans une énorme marmite en forme de taureau, etc. Et ça rate toujours, il se retrouve chaque fois à moitié nu et intact comme au début, jusqu’à ce que l’imagination des bourreaux se tarisse ou que le ciel se lasse enfin de venir sans arrêt à son secours, et qu’on lui tranche banalement la tête.

Il faut regarder de près les figures des acteurs, attristées ou brutales, songeuses ou haineuses mais toujours férocement populaires. Il y a ici toute la virtuosité de la Renaissance dans le rendu des corps, des matières et de l’espace mais en même temps, un refus total ou au moins une résistance obstinée contre l’idéalisation des personnages et l’italianisme qui l’accompagnait d’habitude à cette époque.

C’est l’esprit qui a animé Brueghel qui se trouve là en action, un peu gouailleur et attaché au quotidien, même dans les scènes sacrées, méfiant devant les grandes idées, les idéaux désincarnés, les propagandes pompeuses. Ce n’est pas dans ces ateliers que l’empereur Auguste aurait pu se faire représenter en dieu grec, malgré son âge et son probable embonpoint. Tout le monde, rois, pontifes, saints, militaires, palefreniers, paysans et petit peuple accouru au spectacle est montré bien authentique, bien concret en toutes circonstances. Pour cette exemplarité et pour la qualité de la composition des scènes ainsi que de chaque rendu de détail, ce retable-là mérite vraiment qu’on y consacre plus qu’un coup d’œil distrait, pressé, fatigué par l’océan de vitrines déjà vues ou encore à voir.

Ceci dit, un autre chroniqueur s’enthousiasmerait sans doute pour d’autres œuvres. À vous de trouver dans les salles les objets d’art qui sauront faire résonner en vous une corde intime. Le choix est tellement immense, entre les premiers silex et les œuvres art nouveau et art déco placées dans des vitrines dessinées par Horta, qu’il serait vraiment incroyable que la visite ne vous apporte aucune émotion. Vous l’avez sûrement remarqué, d’ailleurs : dans les photos illustrant cet article et montrant les diverses salles, il ne manque qu’une chose, vous !

 

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L’Italie, des hommes et des mots

Robert Massart

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Belgique manquait de main d’œuvre pour faire redémarrer ses industries, et l’Italie, de son côté, n’avait pas assez de travail à offrir à sa population. C’est pourquoi, le 23 juin 1946, les deux pays signèrent un accord économique relatif à l’exploitation de la houille dans le sillon Sambre et Meuse, accord appelé aussi « Des hommes contre du charbon ». Cette année, on commémore chez nous les septante-cinq ans de l’immigration italienne.

L’immigrazione

Ainsi, jusqu’au milieu des années 1950, des dizaines de milliers d’hommes venant surtout du centre et du sud de l’Italie sont arrivés en Wallonie. La population locale n’était pas toujours très gentille avec eux : on les appelait “macaronis”, “tchitchos” – l’argot “rital” n’avait pas encore franchi la frontière -, on racontait qu’ils étaient fainéants, tire-au-flanc. Jusqu’au jour où, au milieu d’un été superbe, plus personne n’a osé rire des travailleurs italiens. Ce jour-là, le 8 aout 1956, les Belges ont entendu la langue italienne résonner gravement à la radio, et tous les jours qui suivirent, dans des émissions destinées aux familles d’immigrés pour leur donner les dernières nouvelles de la catastrophe minière du Bois du Cazier, à Marcinelle.

Deux-cent-soixante-deux morts, dont cent-trente-six Italiens. Après deux semaines d’efforts désespérés, un sauveteur fit cette déclaration que nul n’a oubliée : Tutti cadaveri, ils sont tous morts. Après ce désastre, on n’a plus considéré les Italiens de Wallonie comme avant, il faut dire aussi que, sur la lancée, nous avions appris qu’ils étaient plus de cinquante-mille à être venus chez nous pour extraire le charbon au péril de leur vie, et que beaucoup vivaient dans des conditions presque infra-humaines, certains étant encore logés dans d’anciens baraquements de prisonniers de la guerre de 40-45.

Partir ou rester ?

Par la suite, une grande partie de la communauté italienne est rentrée au pays natal, les uns ayant atteint l’âge de la retraite, d’autres, après le drame de Marcinelle, préférant une vie modeste, chez eux, plutôt que de la perdre à l’étranger. D’autres encore ont quitté la Wallonie quand la crise s’y est installée, fermant les usines et les houillères et réduisant au chômage des dizaines de milliers de travailleurs.

Malgré tout, beaucoup d’Italiens sont restés chez nous, les racines étaient déjà enfouies trop profond, les enfants s’étaient habitués au pays d’accueil et s’étaient mariés, bien souvent, avec des Wallonnes et des Wallons. Ainsi, du Bassin liégeois jusqu’au Borinage, en passant par le Pays Noir et la région de La Louvière, les Italiens ont parsemé les vallées de la Sambre et de la Meuse de la lumière de leurs noms et de leur accent, ce faisant ils ont en quelque sorte relatinisé un peu cette vieille terre déjà conquise, jadis, par leurs lointains ancêtres venus à pied des bords du Tibre.

Le « frantalien » avant le franglais

Toutefois, sans devoir remonter si loin et sans attendre non plus la signature d’un « accord charbonnier », l’Italie et les Italiens ont encore influencé plusieurs fois nos pays et singulièrement notre langue. Par exemple, avons-nous conscience de parler italien si nous énonçons des phrases comme celles-ci : « Les banquiers ont alerté leurs clients les plus poltrons, mais cette alarme était une bombe de carnaval. Derrière les façades, gardés par les sentinelles et camouflés dans le clair-obscur des salons, entre le minestrone et les cassates, plus question pour les hôtes et leurs escortes de désastre ni de banqueroute. Place à la bagatelle, la guerre était passée. » ? Elles contiennent une douzaine d’italianismes.

Un italianisme est un mot propre à la langue italienne transposé dans une autre langue. Les dictionnaires recensent aujourd’hui la présence d’environ sept-cents mots d’origine italienne en français. Toutefois, nous allons voir que les emprunts à l’italien furent bien plus nombreux au seizième siècle : les lexicologues parlent alors de trois mille italianismes au moins et certains avancent le chiffre de huit mille. Que s’est-il donc passé à cette époque ?

La Renaissance

Au 14e siècle l’Italie est entrée dans une ère que l’on appellera la Renaissance : il Trecento et il Quattrocento (le 14e et le 15e siècle). Il s’agit d’une longue période d’épanouissement culturel et artistique, la sortie du Moyen Âge, due, en partie, à l’afflux de savants et d’artistes qui fuyaient la conquête de Constantinople par les Ottomans pour se réfugier en Italie, berceau de la civilisation gréco-latine qu’ils vont contribuer à redynamiser et remettre à l’honneur.

À partir du 16e siècle la France, qui sort aussi peu à peu du Moyen Âge, éprouve une forte attirance pour tout ce qui vient d’Italie. Cet engouement est favorisé d’abord par des campagnes militaires (les guerres d’Italie) de plusieurs souverains français qui prétendaient avoir des droits héréditaires sur le Milanais et le royaume de Naples. Ensuite par l’arrivée de deux reines italiennes à la cour de France : Catherine de Médicis qui épousera le fils de François 1er, le futur Henri II, et Marie de Médicis, l’épouse d’Henri IV, qui exercera la régence jusqu’à l’avènement de Louis XIII. Il faut ajouter à cela le cardinal Mazarin, ou Mazzarini, originaire des Abruzzes, qui occupera la fonction de principal ministre d’État pendant dix-neuf ans, sous Louis XIV.

Une grande italophilie

L’ensemble de ces éléments a influencé directement la société et la civilisation françaises et, bien entendu, la langue. Tous les domaines du lexique français seront touchés par les mots italiens, de la vie de cour à l’alimentation en passant par la mode vestimentaire, l’architecture, la musique, les beaux-arts et la finance. Quelques exemples : altesse, ambassade, guerre, bombe, infanterie, cantatrice, castrat, barcarolle, sonate, façade, appartement, salon, douche, balcon, espalier, dôme, coupole, dessin, aquarelle, bilan, banque, carafe, botte, caleçon, escarpin, perruque, artichaut, biscotte, cantine … Et toujours dans le domaine alimentaire, peut-on imaginer que le mot « caviar » lui-même nous soit venu de la langue italienne où caviale est une transformation du persan « havyar » qui signifie « œufs de poisson » ?

La réaction

Cette vogue italianisante devait provoquer inévitablement une réaction. Un vif sursaut d’orgueil national à une époque où le français venait d’être promu au rang de langue officielle de l’administration par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), au détriment du latin. Cette même année paraissait le premier dictionnaire de français. Quelques décennies plus tard ce seront De la précellence du langage français, d’Henri Estienne, et La Défense et Illustration de la langue française, de Du Bellay. Plusieurs auteurs brocarderont aussi les snobs (le mot n’existait pas encore) qui « singent l’italien » avec leurs « corruptions italiques ».

Avec le temps, la mode, comme toujours, s’affaiblira et disparaitra. La plupart des italianismes ont été oubliés (on ne dit plus « spurquesse » pour saleté), de plusieurs milliers qu’ils étaient il n’en subsiste que quelques centaines qui se sont parfaitement intégrés dans leur langue d’accueil – le fait qu’il s’agissait de deux langues romanes a facilité les choses – notamment par l’assimilation morphologique : alarme a tout d’un authentique mot français, comme banqueroute ou dessin. On n’y reconnait plus leur « passé » italien : all’arme (aux armes), la banca è rotta (le banc est cassé, rompu), il disegno, disegnare (le dessin, dessiner).

Italianismes et anglicismes : même combat ?

On ne peut pas en dire autant de l’afflux d’anglicismes que le français subit depuis le vingtième siècle, car la situation est différente : au 16e siècle les communications étaient lentes et les échanges linguistiques se faisaient surtout oralement. Les mots étrangers étaient prononcés selon les habitudes phonétiques de leur langue d’accueil. Aujourd’hui, la plupart des mots anglais nous arrivent par la voie écrite et très rapidement. Ils n’ont ni le temps ni la possibilité de se fondre dans la langue française, ce qui n’était pas encore le cas il y a un siècle quand packet boat devenait un paquebot et riding coat une redingote.

Et maintenant ?

Et, me direz-vous, il n’y a plus eu d’emprunts à l’italien depuis la Renaissance ? Si, bien sûr, mais moins nombreux et réservés à quelques domaines spécifiques : la musique, la cuisine : opéra, diva, bel canto, spaghetti, carpaccio, lasagne, pizza, spumante, etc. Aussi quelques occurrences liées à l’Église catholique, par exemple la papamobile.

L’autostrade ou l’autoroute ?

Pour terminer, le mot « autostrade » est un cas intéressant qui mérite quelques commentaires. Il est apparu pendant la première moitié du siècle passé, l’Italie ayant en quelque sorte « inventé » les autoroutes. La première, dans la région de Milan, date de 1924. Mussolini avait l’ambition de renouer avec la tradition romaine des fameuses chaussées qui sillonnaient autrefois tout l’Empire. Le mot « autostrada » en italien est une sorte de mot valise formé sur « strada », la route ou la rue, et « automobili » : route réservée aux automobiles. Bientôt le concept et le mot ont été imités en Allemagne (Autobahn). En français « autoroute » apparait à la même époque, mais il ne s’est répandu que dans les années 1950 avec les premières constructions autoroutières françaises.
Les pays francophones ont adopté l’autoroute. Toutefois, en Belgique, il y eut un peu de flottement dans l’usage. Le mot italien, francisé, « autostrade » a concurrencé « autoroute » pendant quelques années. Peut-être parce que les Belges le confondaient au début avec un mot néerlandais, « strade » étant proche de « straat ». Autoroute se dit en néerlandais « autosnelweg ».

J’applique l’orthographe recommandée de 1990.
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Tournai méconnue

texte et images D. LYSSE ©

La ville de Tournai ne fait pas partie des objectifs touristiques les plus courus de Belgique. C’est assez injuste. Elle ne manque pas de charme, avec ses rues anciennes et ses terrasses sur la grand-place. Et surtout, en plus de la silhouette emblématique des clochers romans de sa cathédrale, elle propose aux amateurs d’art et de culture un vaste choix de musées.

 

Musée des Beaux-Arts

Le Musée des Beaux-Arts, en premier lieu. Géré par une équipe extrêmement dynamique, et promis à une extension prochaine, il expose de façon tournante une sélection dans sa large collection, ce qui fait que deux visites à six mois ou un an d’intervalle seront toujours différentes. Il y a, naturellement, quelques chefs-d’œuvre incontournables qu’on ne retire jamais des cimaises : deux peintures de Manet, notamment, extrêmement célèbres et qu’envieraient tous les musées du monde.

La présentation actuelle est centrée sur un prêt de deux grands bronzes de Rik Wauters : la « Vierge folle », d’après les chorégraphies d’Isadora Duncan, et une statue en pied de Nel, son épouse adorée et modèle préféré. L’arrivée de ces sculptures a donné l’impulsion pour un accrochage basé sur l’image de la femme dans les œuvres du musée.

Pour mieux guider le visiteur et retenir son attention pendant son périple à travers les salles, les organisateurs ont choisi de placer auprès de certaines œuvres un commentaire personnel ou une citation littéraire pouvant servir de contrepoint. Dans le contexte culturel et médiatique du présent, fortement marqué par le mouvement « Me too », un thème comme l’image de la femme appelle évidemment d’autres commentaires qu’il ne l’aurait fait il y a vingt ans, ou il y a un siècle. Ces notices permettent, dans un premier temps, de créer un lien entre les ouvrages, souvent anciens, accrochés aux murs, et diverses facettes du politiquement correct venu d’Outre-Atlantique.

Même lorsqu’elle se fait, comme ici, sans excès, évitant communautarisme, censures et ostracismes, une telle démarche d’actualisation court toujours le risque de réinterpréter des œuvres historiques à la lumière des polémiques contemporaines, un peu comme ces metteurs en scène d’opéra qui, dans la deuxième moitié du XXe siècle, ne pouvaient aborder Wagner sans y plaquer à toute force des uniformes hitlériens.

Faut-il mettre systématiquement en avant l’exploitation de la femme dans les lavandières de De Braekeleer ou dans des représentations de paysannes, qui tenaient peut-être moins du discours féministe que de la recherche du pittoresque (ou, dans d’autres cas, d’un érotisme discret) par le peintre ? Toute représentation d’un modèle féminin familier, humble ou nanti, posant dans l’intimité, simplement assis sur une chaise dans un appartement, doit-elle fatalement renvoyer au confinement des femmes à la maison dans les sociétés patriarcales ?

La démarche eût en tout cas paru étrange, il a quelques décennies, et cela n’aide peut-être pas toujours à resituer l’œuvre dans son époque d’origine ou à pénétrer son identité profonde, ce qui la rend unique. Mais peu importe : si ce genre de rapprochement permet de créer un pont entre des sculptures ou des dessins anciens et un spectateur moderne, branché sur l’actualité et les discussions du jour, il est déjà bénéfique. Et le commentateur s’est gardé d’en faire trop dans ses interventions, revenant régulièrement à des perspectives plus liées à l’histoire de l’art. Quoi qu’il en soit, cela permet une visite du musée très cohérente et, au total, extrêmement réjouissante.

Musée de la tapisserie

À quelques centaines de mètres de là, le très beau musée de la tapisserie propose, pour sa part, diverses tapisseries contemporaines, parfois surprenantes, d’autres du siècle passé, mais aussi une dizaine de réalisations de prestige parvenues jusqu’à nous depuis l’époque de ducs de Bourgogne, aux XVe et XVIe siècles, quand les manufactures de Tournai étaient à leur apogée.

Au premier coup d’œil, elles peuvent déconcerter mais il faut prendre le temps de se familiariser avec elles. Ce sont des panneaux immenses, conçus pour être suspendus dans des salles d’apparat, avec des couleurs un peu passées et des mises en scènes parfois confuses à force d’être compactes, emplies de détails. Il y avait une vraie horreur du vide dans la décoration, à l’époque. Tout étincelle d’armures, de costumes luxueux ; les lointains s’emplissent de toits, de villes, d’arbres, de petits paysages, et quand un peu d’espace subsiste à l’avant-plan, entre deux pieds ou devant un pan de mur, il est vite comblé avec des plantes, des fleurs, un petit lapin, bref, avec n’importe quoi.

Les histoires que racontent ces panneaux (expliquées sur des cartons à consulter) ont, elles aussi, l’air tarabiscotées. On dirait de la mythologie classique mais racontée d’une manière bizarrement tordue, comme si les auteurs avaient oublié le sens et le scénario des mythes qu’ils racontaient, comme s’ils n’en connaissaient que des bribes qu’ils auraient récupérées pour les tordre à leur manière.

Après un moment, quand le regard se met à isoler et reconnaître les différents personnages et les actions, et quand on déchiffre mieux les intrigues, on s’aperçoit que tout est beaucoup moins farfelu et désordonné qu’il n’y paraît. Les distorsions des récits ne sont pas accidentelles, elles ne sont dues qu’au politiquement correct de l’époque, qui forçait à relire des données culturelles plus anciennes à la seule lumière des événements contemporains.

La minorité opprimée qu’il s’agissait alors de défendre, de réhabiliter et de glorifier, c’était la cour de Bourgogne. Issus de cadets de famille du roi de France, ils étaient condamnés à végéter comme vassaux de Paris même si, à la faveur de la Guerre de Cent ans, ils se trouvaient parfois plus puissants ou plus brillants culturellement que les descendants de la branche aînée.

Ils s’identifiaient volontiers à Hercule, opprimé lui aussi, asservi au roi de Tirynthe et condamné aux célèbres travaux. L’air du temps était donc à la glorification de l’héroïsme et du mérite mal reconnus et mal récompensés, alors les auteurs et les artistes de l’époque en rajoutaient à qui mieux mieux sur les exploits et les mérites d’Hercule.

Sur les tapisseries du musée, on voit un Hercule civilisateur, qui vole le secret des tissus en laine en dérobant les moutons que le géant Atlas emprisonnait en Espagne à son seul usage (il assassine Atlas au passage, sous les yeux de ses filles horrifiées). Ou alors on voit Hercule et ses compagnons qui refont la guerre de Troie et détruisent Troie à eux tout seuls, vexés de n’avoir pas pu y faire escale pendant leur quête de la Toison d’Or. Et quand Hercule n’est pas montré en armure d’apparat moyenâgeuse, avec une épée dégoulinante de sang et la tête d’un puissant honni dans la main, il apparaît, comme on s’en doute, vêtu comme un duc bourguignon.

Peu importait, alors, que la culture grecque s’en retrouve estropiée, tant que les développements qu’on en tirait servaient les luttes et l’humeur de l’époque. Les temps belliqueux sont peu propices à une approche respectueuse et distanciée de l’Histoire, l’urgence de la cause à défendre prime sur le reste. Et on sait que le XVe siècle a été un siècle atrocement belliqueux en Europe du Nord.

De façon amusante, le politiquement correct de la fin du Moyen-âge se trouve parfois diamétralement opposé au politiquement correct contemporain. Revisitant la campagne militaire de Titus au Proche Orient au premier siècle de notre ère, un autre cycle de tapisseries tournaisiennes anciennes raconte ainsi comment le Christ s’est vengé des Juifs qui l’avaient humilié, torturé et assassiné : il leur avait envoyé les légions romaines pour détruire Jérusalem, saccager leur pays et déporter toute la population survivante.

Un panneau nous montre Néron, outré par la mort de Jésus, qui mandate Vespasien et Titus pour punir les Juifs. En haut de l’image se voient déjà les armures métalliques des cohortes de chevaliers sur pied de guerre pour venger le Sauveur divin. Sur un autre panneau, dans Jérusalem assiégée et affamée, une riche juive a dissimulé des victuailles et s’empiffre en cachette de poulets à la broche et de saucisse pendant que l’assaut final est donné. Un détail de cette scène de destruction mouvementée nous montre l’accapareuse tirée de son festin par le soldat romain qui va punir sur elle comme sur ses concitoyens le crime d’appartenir à une race déicide, en la trucidant, en la violant ou en la vendant comme esclave, au choix.

À notre époque, on peut s’étonner qu’aucune ligue de vertu ne soit venue demander le retrait de ces œuvres antisémites des cimaises du musée, ou que personne n’ait au moins exigé une sévère remise en contexte. Je plaisante, naturellement : ces vénérables tapisseries demandent un effort de déchiffrage suffisamment grand pour décourager a priori les amateurs de ce genre d’anachronismes interprétatifs et d’absence de perspectives historiques.

Saint Jacques et la cathédrale

On peut d’ailleurs continuer la visite de la ville en conservant ce fil du politiquement correct. A la cathédrale et à l’église saint Jacques (un bâtiment d’une belle architecture gothique construite autour d’un énorme clocher roman), par exemple, les visiteurs pourront alors se souvenir de l’air du temps à l’époque de la censure protestante, vers l’an 1566. De grands destructeurs de statues et de grands rectificateurs du passé pour raison idéologique, eux aussi !

Il suffit de voir avec quel soin ont été martelés les portails de la cathédrale et comment rien ne subsiste, ou presque, à l’intérieur des deux bâtiments, de la décoration et du mobilier liturgique d’origine, pour se rendre compte à quel point les représentations de la sainte famille, des saints ou même de simples donateurs ou de figures allégoriques ont pu sembler odieuses à certains militants du XVIe siècle. Ces gens-là étaient certes pleins de bonnes intentions, seulement soucieux de ramener le public à une piété plus authentique, plus centrée sur le récit évangélique, moins distraite par des images parasites, mais on se dit qu’ils auraient pu se contenter de voiler ou de déplacer les œuvres qui ne leur plaisaient pas, sans s’acharner pareillement à détruire la mémoire et le legs des siècles qui les avaient précédés.

Les intentions pieuses qui ont mené aux vertueuses destructions des iconoclastes protestants du XVIe siècle sont évidemment très différentes de celles des voleurs qui ont dérobé en 2008 la pièce la plus précieuse du trésor de la cathédrale, une croix byzantine supposée contenir une relique de la vraie croix, mais le résultat des deux actions est finalement le même : tout cela est perdu pour le public. La possibilité d’un contact concret, vivant, avec d’autres mentalités et d’autres points de vue que les nôtres s’évapore. Et nous nous retrouvons plus qu’avant enfermés dans les certitudes et les polémiques du présent, en perdant la notion de leur relativité, du fait qu’elles sont destinées, elles aussi, à passer.

Soit dit en passant, les gardiens du trésor de la cathédrale ont peut-être été traumatisés par le vol de 2008, ou alors ils avaient d’autres soucis lors de mon passage (la préparation de la liturgie du lendemain, m’a dit une dame à travers la porte vitrée), mais toujours est-il qu’en me présentant deux fois pendant les heures de visite, je ne suis jamais arrivé à entrer. Je vous en parlerai donc dans un prochain article, si le ciel et les besoins de la liturgie sont favorables et permettent l’ouverture du local à ce moment-là.

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Que se passe-t-il lors de l’envoi d’un e-mail ?

Un peu d’histoire…

Raymond Samuel Tomlinson
(1941-2016)

L’invention du courrier électronique trouve ses origines lors de la création du réseau ARPANET. Inventé par Ray Tomlinson en 1971, ingénieur diplômé de la prestigieuse école MIT (Massachusetts Institute of Technology). L’email constitue aujourd’hui une grande part de notre communication quotidienne.

Auparavant, il était possible d’envoyer des messages, mais ces derniers ne pouvaient être envoyés qu’à des utilisateurs du même domaine et sur le même appareil que celui ayant préalablement servi à l’envoi. Un nombre de contraintes restreignant de fait, l’utilité du mail.

L’idée de Ray Tomlinson fut de créer, outre les applications dédiées à l’envoi et à la lecture des messages, des protocoles d’envoi et de réception utilisant le réseau ARPANET.

Il ne restait plus qu’à trouver un moyen de différencier le nom d’utilisateur du nom de domaine afin que la machine puisse délivrer les messages à la bonne adresse. Ainsi est née l’adresse mail telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec une arobase (@).

Pourquoi l’arobase ? Ray Tomlinson avait noté que ce caractère n’était présent dans aucun nom propre et, point primordial, dans aucun nom d’entreprise.

Mais alors, quel mécanisme cet ingénieur en informatique a-t-il mis en place pour créer cet outil ?  Quelles sont les différentes étapes lors de l’envoi d’un email ? Réponses à suivre !

Comprendre l’échange d’informations

Avant toute chose, il est important de comprendre les différentes structures permettant l’échange d’informations. Plusieurs leviers existent et forment l’architecture du réseau internet.

a) Réseaux et IP (Internet Protocol)
Les emails existent et transitent grâce à un réseau informatique. Ce réseau est en réalité un maillage d’ordinateurs permettant de transporter des informations mais aussi de reconnaitre les machines entre elles.

Pour se reconnaître entre elles, les machines utilisent une adresse IP. Il s’agit d’une suite de chiffres qui font office de « carte d’identité » ou de numéro d’identification. Un ordinateur possède ainsi une adresse IP qui lui est propre au même titre qu’un site internet par exemple.
Les adresses IP se présentent de cette façon : 218.95.135.170

Les sites internet ont aussi des adresses IP gérées par des serveurs DNS (Domain Name Server) qui indiquent à quelle adresse le site est publié. Ainsi, lorsque vous souhaitez afficher un site web dans votre navigateur, votre ordinateur interroge ce serveur afin de savoir où se situe l’URL (Uniform Resource Locator, par exemple : http://www.ajpbe-vbbjpp.eu) que vous souhaitez atteindre.

b) Serveurs et Protocoles
Revenons quelques instants sur ces serveurs. Nous évoquions précédemment le rôle des serveurs DNS dans l’établissement du « dialogue » entre site internet et ordinateur. Il existe de nombreux types de serveurs permettant de répondre à des requêtes précises.

Dans cet article nous nous intéresseront particulièrement aux serveurs en place lors du processus d’envoi d’email.

Les serveurs propres aux envois et réceptions de courriels, ont un fonctionnement similaire à celui de la Poste. Ils garantissent le formatage, le contrôle et le transfert du message de l’expéditeur au destinataire.

Les protocoles représentent les flux permettant à deux serveurs de communiquer entre eux. En fonction des requêtes et des serveurs, des protocoles particuliers sont utilisés. Par exemple pour l’envoi d’un mail on utilise le protocole SMTP (Simple Mail Transfer Protocol) tandis que pour récupérer un mail, c’est le protocole IMAP (Internet Message Access Protocol) ou POP (Post Office Protocol) qui prime.

Maintenant que nous avons bien saisi les différents acteurs dans un processus d’envoi de mail, il ne reste plus qu’à comprendre les étapes qui structurent cette action normalisée. Continuer la lecture

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