Texte et images D. LYSSE © 08-2023
Le musée de la Marionnette, à Tournai, est hébergé dans le cadre intime d’une grosse maison bourgeoise. C’est une institution discrète où la Communauté française regroupe tout ce qui, dans ses collections, a trait de près ou de loin au théâtre de marionnettes. À de rares exceptions près, il s’agit d’objets issus de traditions populaires. Pas de chef-d’œuvre classé par l’Unesco, ici, et peu de grands formats. Mais, pour ceux qui ont gardé une part de la capacité de rêver de l’enfance, beaucoup de ces personnages en miniature sont étrangement dotés d’un regard, d’une présence.
Chacune des pièces exposée peut en effet raconter une histoire, ce qui était d’ailleurs leur unique fonction et raison d’être : contrairement aux statues ou aux objets décoratifs, elles devaient incarner un rôle, vivre sur une scène et interagir avec un public à travers quelques mouvements simples. Cette nécessité du dialogue explique que, dans beaucoup de cas, le caractère expressif des figurines ait été particulièrement soigné, plutôt que la perfection formelle ou la ressemblance avec un modèle précis.
À côté de quelques exemplaires industriels fabriqués à la chaîne, la collection montre surtout des ouvrages artisanaux fabriqués dans l’entourage de ceux qui allaient les utiliser. Elle nous permet d’aborder les diverses sociétés par leur côté le moins « fabriqué », le moins manipulé par les puissances politiques ou économiques. Et elle touche à la fois au versant laïc et au versant magique ou religieux.
Après un étage consacré à l’Occident, principalement à l’Europe, un autre nous fait voyager dans des zones plus éloignées. Nous y sommes interpellés par des figures moins familières, venues d’Afrique ou d’Asie, qui nous invitent à nous plonger dans des imaginaires très différents du nôtre. Des conventions plastiques beaucoup plus éloignées de la figuration permettent, par exemple, à des personnages venus du Mali d’afficher des yeux en boutons de culotte ou bien un regard immense, qui dévore tout le visage et qui incite à faire référence à une puissance magique en plus d’un simple rôle civil.
Le théâtre indonésien, encore vivant et populaire à Java, est ici largement représenté, en deux et en trois dimensions, et cela vaut la peine de traîner devant chacune des figurines, qu’ils s’agisse de princesses et princes fardés de blanc, aux traits affinés tracés au pinceau à trois poils ou de démons verts et rouges qui viennent entraîner les innocents sur le chemin de la perdition avec un sourire qui leur donne l’air d’avoir déjà longuement abusé de l’alcool ou d’autres substances similaires.
Plus loin, on voit des personnages birmans particulièrement expressifs, puis des représentants du théâtre sur l’eau vietnamien, avec un répertoire dans la veine populaire, ainsi que des figures plates thaïlandaises habillées dans des tenues de palais aussi extravagantes que celles, généralement importables, qu’on peut voir dans les plus déjantés de nos défilés de haute couture.
De Chine nous est venu tout un théâtre avec un luxueux décor en dorure et laque ainsi que les acteurs et figurants pour représenter la quête légendaire des textes bouddhistes par un maître chinois aidé des esprits et divinités les plus divers, un récit qui permettait de transmettre les valeurs fondamentales de la doctrine d’une façon imagée, pleine d’aventures et de fantastique, propre à capter l’attention.
D’Inde, enfin, on retrouve les marionnettes plates en cuir et parchemin que l’on pouvait encore voir en action, il y a quelques années, et des figures à fils, plus simples, pour un théâtre de village en voie de disparition. Les plus pressés feront le tour de l’exposition en un quart d’heure, les plus rêveurs pourront y passer beaucoup plus de temps, à examiner tous ces visages inconnus et à envisager toutes les tonalités possibles du dialogue avec eux. Quant aux enfants, ils pourront improviser des petites scènes de théâtre d’ombres avec des figurines mises à leur disposition.
Un bémol pour terminer. La limitation des moyens disponibles en Communauté française fait une grande partie du charme du lieu, le peu d’aménagements effectués dans la villa lui conservant un caractère intime et chaleureux, comme si l’on était invité par un original à visiter une gigantesque collection privée. Mais cela pourra surprendre ceux qui sont habitués aux présentations pointues et technologiques qu’on peut voir ailleurs. D’autre part, les abords du bâtiment sont assez peu engageants : la façade de verre et métal de la Maison de la Marionnette, voisine, laisse déborder du mobilier de jardin mais semble n’abriter que des activités sporadiques en été, et les anciennes annexes de la villa, qui limitent le domaine en intérieur d’îlot, menacent ruine. Une grande bâche y fait savoir : « Patrimoine en péril. Propriété de la ville de Tournai. », sans que le visiteur sache s’il s’agit d’un reproche adressé publiquement par le musée à la ville de Tournai pour l’abandon de ces constructions ou d’un appel à l’aide de la municipalité sollicitant de généreux donateurs. Quoi qu’il en soit, cela fait mauvais genre si vous amenez des hôtes étrangers. Il vaut mieux les prévenir.
Vers le musée : https://www.maisondelamarionnette.be/fr/musee/