Expo « Drafts » au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles

© Texte et photos D. LYSSE  10-2024

Pour les grandes institutions, les expositions montées à partir d’œuvres appartenant à la maison ont l’immense avantage de ne demander qu’une logistique réduite et d’éviter les frais liés aux prêts venus de collections privées ou de musées extérieurs. C’est l’occasion de mettre en valeur des pièces choisies dans l’accrochage permanent ainsi que de nombreuses autres tirées des réserves, que le public a rarement l’occasion de voir, trop fragiles pour être soumises longtemps à l’action de la lumière, ce qui est le cas pour les travaux sur papier, ou alors rangées hors de vue parce qu’elles sont passées de mode ou considérées comme mineures.

Le mot anglais qui a été choisi comme thème pour cette exposition est draft. Le terme peut recouvrir des sens très divers : projet, ébauche, étude, esquisse voire, en élargissant au maximum le concept, simple croquis d’observation ou crayonné sous-jacent à la couche de couleur d’un tableau. On trouvera donc regroupés dans cette expo des œuvres extrêmement variées, tant au point de vue de l’exécution que de l’intention qui a présidé à leur élaboration. Et la juxtaposition, lorsqu’elle était possible, du travail terminé, tableau ou sculpture, avec le croquis ou l’étude qui lui a servi de base ajoute encore au disparate.

C’est ce qui fait le charme de cet accrochage : on se promène un peu au hasard parmi de vénérables productions qui, pour une fois, n’ont pas été choisies pour leur notoriété ou leur proximité stylistique, mais pour la bonne raison que le musée en possédait un brouillon ou les considérait comme un brouillon.

À tout seigneur tout honneur, les études de Rubens figurent en bonne place. Les quatre études d’une tête africaine, hyper connues, sont bien sûr là. Puis toutes les autres, d’une vigueur et d’une sûreté stupéfiantes, à la fois très enlevées et soigneusement travaillées à la couleur à l’huile. Elles n’étaient pas tant des brouillons que des modèles : modèle à montrer au commanditaire avant de confectionner le tableau définitif, la fresque ou la tapisserie qu’il s’apprêtait à acheter, et surtout modèle à montrer aux multiples assistants qui peuplaient l’atelier de Rubens et qui étaient souvent chargés de la réalisation. Le maître, en effet, assailli de commandes, se contentait souvent de ne peindre que les visages et les mains des personnages principaux. Parfois, il intervenait moins encore, seulement pour les yeux, voire pas du tout. Les études, dans le dernier cas, sont beaucoup plus représentatives de son travail et de sa « patte » que le résultat final.

Jordaens figure également en bonne place avec un de ses chefs-d’œuvre, son allégorie de l’abondance et de la fertilité, déménagée de plusieurs étages pour l’occasion. Un croquis à l’encre montré à proximité laisse voir quelles retouches et améliorations périphériques il a apportées à sa composition.

Énumérer tout ce qui a été rassemblé ici tend très vite vers un inventaire à la Prévert : des études de peintres animaliers d’après des pièces de gibier ou des bêtes vivantes ; un personnage avec un grand chapeau croqué à la plume par Rembrandt ; trois silhouettes prises sur le vif au pinceau par Ensor encore jeune, des petits formats d’après nature de l’école de Barbizon ; des études anatomiques ou d’après modèle de peintres pompiers du dix-neuvième ; un projet d’une précision maniaque de Servanckx, recopié au carré avec un quadrillage extrêmement serré ; une petite maquette du mobile de Calder qu’on peut voir réalisé au-dessus du Mont-des-Arts ; diverses peintures abstraites gestuelles du vingtième siècle ; les réductions des frontons de Godecharle pour la Monnaie, le palais de Laeken et le parlement (avec comme très honorable programme : « la Justice récompensant la Vertu, chassant les Vices et protégeant la Faiblesse) ; une belle vue de la fenêtre de l’atelier de Rik Wauters à Boistfort accompagnée de deux croquis rapides pris du même endroit (croquis qui ont peut-être servi d’étude pour le tableau et peut-être pas) ; une minuscule esquisse au fusain de Constantin Meunier fixant les lignes de force d’un mouvement de groupe sans préciser de détail intelligible, et un énorme modèle en plâtre, très léché, du même Constantin Meunier, peuplé d’héroïques dockers du port d’Anvers, destiné à être sculpté en marbre pour le monument au travail…
On ne peut que souhaiter bonne promenade au visiteur ! L’exposition est ouverte jusqu’en février 2025. Et c’est une excellente occasion d’aller refaire un tour dans ce riche musée qu’on croit connaître mais où il y a toujours des œuvres à découvrir ou à redécouvrir.

www.fine-arts-museum.be/fr/expositions

Ce contenu a été publié dans Art, Musée - museum. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *