Brève rencontre avec le peintre ROLAND DELCOL

La Belgique, est un petit pays quant à sa superficie et à son nombre d’habitants, mais un grand pays par sa prolifique présence d’artistes peintres de tous les temps, dont certains ont caractérisé leur époque d’une empreinte indélébile, irremplaçable, et j’oserais dire, indispensable.

Déjà présente au XIe et XIIe siècle , la peinture belge, principalement flamande, prit définitivement son essor et, en faisant un grand saut périlleux dans le temps, nous voici au XXIe siècle où bien sûr tout a changé, mais les peintres belges de qualité sont toujours présents.

Nous consacrons nos lignes aujourdh’hui au peintre belge Roland Delcol.

Né en 1942 et encore actif à 76 ans, Roland Delcol que l’on qualifie presque toujours de précurseur de l’hyperréalisme en Belgique, mais qui lui-même préfère se définir comme post-moderniste, est un artiste qui a quelque chose à raconter.

Il considère que l’art post moderne n’est pas une technique, mais plutôt un contenu.

Jean Dubuffet, peintre et sculpteur français, écrivait: “peindre n’est pas teindre”.

Eh bien ! oui, Roland Delcol sait peindre.

Adepte de la liberté en peinture, laissons lui la parole, car enfin, qui mieux que l’artiste en personne ne peut se définir, s’expliquer, se situer dans ce vaste monde qu’est l’Art.

Q.: Vous êtes un artiste célèbre et reconnu en Belgique comme à l’étranger. Quel est selon vous votre place dans l’Art belge du XXe et début XXIe siècle ? Avez-vous souffert d’être un artiste belge ?

R.: Je ne suis pas dans l’Art Moderne parce que je suis assez intemporel, et dans ce sens là je suis  Post-Moderne. Beaucoup de gens emploient le terme post-moderne pour dire après l’Art Moderne. En première lecture, c’est bien cela, mais post-moderne c’est autre chose, c’est expliquer que l’Art Moderne a fait beaucoup de conneries ! Il a voulu à tout prix gommer l’art classique, ce qu’il y avait avant, en disant: il faut absolument que ce soit nouveau; mais aujourd’hui on peut voir par exemple qu’un film a reçu un Oscar et il est en noir et blanc ! Il ne faut pas effacer le passé. Moi j’aime bien faire référence à la peinture classique car il y a une longue continuation. Si dans l’art de l’image et de la figuration l’on va de Lascaux à nos jours, il y a une continuité. Et alors quand j’emploie des personnages qui font partie de l’Art Classique, en fait, je leur donne une modernité, je leur donne une nouvelle image  et quelque chose  et en plus, il y a toujours un déclic, il y a toujours un humour. Si je mettais une de mes femmes nues devant Richelieu cela créerait un problème quoi ! Ça détonne ! On met deux masses ensemble et cela fait boum !

Q.: Ce qui me mène à une question sur l’Art contemporain et l’Art d’avant-garde. Comme le rappelle Enrique Vila-Matas dans son dernier ouvrage (“Impressions de      Kassel”): “les intellectuels lucides s’obstinaient à trouver que l’Art contemporain dormait et était une catastrophe absolue…”. Est-il à votre avis facile, ou même faisable de distinguer le vrai Art contemporain, créatif, solide, sérieux, par rapport à la moquerie pilotée par des marchands ne visant qu’au profit immédiat ? Tout cet “Art” a empêché beaucoup de peintres comme vous d’éclore ?

R.: Oui ! Cela commence par l’Art abstrait que je n’aime pas beaucoup, à de rares exceptions près. Il y en a quelques-uns qui sont de vrais peintres comme Nicolas De Staël que je considère être un grand peintre.  Bien sûr on entend souvent dire: “un enfant serait capable d’en faire autant”; cela me rappelle une réponse de Joan Miró. “Alors quand vous faites pipi dans la neige vous faites un tableau abstrait expressionniste lui demanda-t-on; “cela dépend, répondit Miró, avec quel lyrisme je fais pipi”.

Quand Vasilij Kandinsky exécuta sa première toile abstraite, c’était valable, très valable, mais il avait tout dit ! Que lui continuât à le faire, c’était son droit: il l’avait inventé. Mais après il y en a eu plein qui ont fait ça. D’autres sous sous sous…

Le premier qui a réalisé le conceptuel, c’est l’allemand Joseph Beuys. Oui il a inventé le truc ! Il était plus un conférencier. Mais après, non ! Quand il y a un gars qui présente une plante fânée dans un pot de fleurs en le mettant dans un rayon métallique et il dit: ça c’est au Musée de Gand, ça c’est la Mona Lisa du Musée ! Mais cela nous mène où quoi ? C’est le même qui a fait mettre des tranches de jambon sur les colonnes…c’est amusant mais c’est du folklore, ce n’est pas de l’Art. Tout au long du XXe siècle il y a eu cette chose fondamentale. On est passé à côté de l’Art. Alors c’est la démarche du peintre qui compte, c’est son idée. Moi je suis d’accord: démarche, idée, mais le peintre, ce n’est pas qu’un esprit, c’est un type qui travaille avec ses mains, il doit réaliser l’œuvre d’art. Cela ne suffit pas de dire: j’ai une démarche , non non non…;  dire: je suis un artiste, non non non ! Un artiste doit savoir dessiner, comme les grands couturiers, ou les grands fabricants de chaussures. Tout part du dessin; ce sont de vrais artistes. Ma peinture, ce n’est pas un retour en arrière, ce n’est pas une copie de l’Art Ancien, c’est un emploi de ce qui s’est passé, pour qu’il y ait une continuité et le mettre en valeur avec des choses d’aujourd’hui pour que cela soit intemporel afin que dans cinquante ans, quand cela se trouvera dans un musée, –enfin, il y en a déjà–que cela tienne le coup.

Tu prends un clou et tu accroches l’œuvre au mur, tu dois alors passer tous les jours devant ton  tableau, et ce pendant quinze jours, le regarder deux minutes, trois minutes, quatre minutes et tu dis: ça tient le coup !  Voilà ! Enfin voilà, c’est simple à dire mais c’est compliqué à faire.

Je constate qu’il y a un retour à la figuration, mais le problème est que cet Art Moderne, que je n’aime pas, je le répète, est souvent fait par des pseudo-peintres qui ne savent pas peindre. Mon problème, c’est que ma peinture est très figurative et très classique, et les gens s’imaginent que je suis une “antiquité”. Or l’avant-garde c’est ça: c’est la figuration qui revient en force. Tout au début de ma carrière, j’avais prévu qu’il y aurait un retour à Ingres, parce que c’est fabuleux Ingres.

Q.: Avez-vous souffert d’être un artiste belge ? Les artistes belges ne sont-ils pas pénalisés (par rapport à leurs collègues français par exemple) pour pénétrer les marchés mondiaux, vu que notre pays est un “petit pays” ?

R.: Il y a deux choses. Il y a d’abord l’Art Moderne, celui que je n’aime pas, qui est important en Belgique parce qu’il est sous la forte influence américaine. On est bon ici que si l’on copie ce que font les américains, et ce, dans tous les milieux officiels. Moi je n’aime pas ça du tout parce que en fait nous avons une culture de la peinture en Belgique, comme les Chinois ont une culture de la peinture; je dirais que chaque ethnie a une culture, sa culture, de la peinture et il n’y a aucune raison qu’elle abandonne  cette culture. C’est pourquoi je pense que ce que j’appelle l’Art Occidental, mais ça c’est un défaut belge, il faut absolument que ce soit américanisé, et aux Pays-Bas, c’est encore pire. Nous avons une chance d’être francophones contrairement aux Flamands qui sont beaucoup plus  américanisés. C’est comme ça. Certains auront une gloire très courte de leur vivant; d’autres comme moi auront une gloire plus haut mais ils seront morts !  J’oubliais de dire qu’en Belgique on ne fait pas grand chose pour les artistes. Que faut-il entendre par là ? Il ne s’agit pas d’ouvrir des centres artistiques mais d’organiser des expositions clés sur porte. Dans les journaux et à la télévision il n’y a plus rien, plus de chronique sur la peinture, plus rien du tout ! J’ai fait une petite exposition rétrospective au Musée d’Art Moderne de Wiesbaden en même temps que Robert Indiana; son idée, “Love” est très bonne aussi, mais c’est du Pop américain. Une dame allemande passa par là et me dit: “N’avez-vous pas le même art ? Pourquoi Indiana est-il plus connu que vous ?”. “Mais Madame, je suis belge !” lui ai-je répondu.

 

 

 

 

 

Q.: Il est bien connu que pour “percer” dans le monde de l’Art, l’artiste est souvent poussé à se “vendre” à des marchands, subissant des rythmes de productions imposés et perdant de ce fait toute liberté de créer. Quelle a été votre position ?

R.: Je n’ai jamais été partisan de ce truc ! J’avais travaillé avec une Galerie dans le temps, Galerie qui était très importante en Belgique, mais sans avoir l’obligation d’exécuter  un nombre précis de toiles. Si je m’étais fait influencer, c’était parti !  Ils m’ont proposé d’employer l’aérographe au lieu du pinceau, mais je n’ai nul besoin d’utiliser l’aérographe ! Ils m’ont proposé de devenir plus conceptuel… il faut tenir le coup et ne pas accepter de se faire influencer. En ce qui concerne l’argent, je n’en ai jamais fait. En fait j’en ai toujours manqué, mais je n’ai pas fait beaucoup de concessions. La seule que j’ai faite est le portrait de Willy Decourty au terme de son long mandat au mayorat d’Ixelles. Willy est un ami de longue date, et grande a été ma satisfaction quand une échevine d’Ixelles a dit au bourgemestre sortant:“Willy ça n’est pas un portrait. C’est un tableau !”

Q.: Pensez-vous que les cotes des artistes (anciens ou contemporains, petits maîtres ou grands maîtres) ne sont que des approximations fort peu fiables d’ailleurs et que les seules références indiscutables sont le goût de l’acheteur et le verdict de la mode ?

R.: Il y a la mode. Le gros problème de cet Art Moderne c’est le passage d’une époque à une autre, et on dira qu’actuellement ce n’est pas une bonne période… Tout cela c’est de la blague. Il y a ensuite le goût  de l’acheteur et c’est probablement en ce qui me concerne le plus important. Il faut savoir vivre avec une toile. Une toile c’est quelque chose avec laquelle on vit, on vieillit, on se sent bien.

Q.: Monsieur Jean Berger ancien professeur de mathématiques et physique à l’Athénée Léon Lepage à Bruxelles (1956-1972) et insigne Préfet de l’Athénée Adolphe Max, toujours à Bruxelles (1972-1998), a écrit en conclusion de son étude fort intéressante intitulée “Qu’est-ce que l’Art ?”  : “L’Art est l’expression sous quelque forme que ce soit de la pensée de l’artiste face à l’homme et son destin, et à la Nature”. En diriez-vous autant ?

R.: Oui oui ! J’ajouterais même un truc auquel on ne pense jamais. Je m’explique: j’aime beaucoup la philosophie. Gilles Deleuze, philosophe français, aimait bien ma peinture. Pour moi c’est important car Deleuze est un des spécialistes de la visagéité et le zoom dans le cinéma. Deleuze m’a dit: “le regard de vos personnages sont extraordinaires. Toutes vos toiles nous regardent”. Comme je viens de dire: j’adore la philosophie. Les philosophes, quand on les lit, à un moment donné, ils sont embarrassés dans leurs explications. D’abord car ils emploient toujours un langage hexagonal qui n’est pas accessible à tout un chacun. Ils se trouvent donc en difficulté pour expliquer certains arguments et paf ! ils prennent en exemple un tableau ou un peintre et ils redémarrent.  En fait le peintre est beaucoup plus intuitif par rapport au philosophe, qui pour sa part est bien plus intellectualisé. Le peintre est intuitif mais il a l’intelligence des mains. J’ai toujours pensé que la main a une intelligence qu’elle transmet au cerveau. Je m’explique: au Musée de Delft j’ai vu entrer des non-voyants, brusquement, l’un d’entre eux monte sur une sculpture et commence à la palper. Il s’agit de la scène la plus sensuelle qu’il m’ait été donné de voir dans ma vie.

Roland Smit

 

 

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