LES CINQ VIES BRUXELLOISES DE JEAN-LE-PRECURSEUR

ou la saga d’une communauté religieuse de rite byzantin

© Texte André BUYSE  09-2024

Évoquer la « Communauté Saint Jean-le-Précurseur » ne dira rien à la plupart de nos lecteurs à moins qu’ils aient eu l’occasion de consulter le site en ligne de cette institution (1).

Elle célèbre cette année ses cinquante ans d’existence. Mais quelle existence ! Une véritable saga, que nous vous proposons de narrer brièvement ici tout en permettant au lecteur de découvrir cette « communauté », qui n’est pas une « paroisse » car, dépendant de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles (vicariat général de Bruxelles), elle ne remplit pas vraiment les critères de fonction ou de territorialité d’une paroisse. Discrète par nature elle pourrait cependant revendiquer une certaine notoriété…car elle officie dans l’un des plus anciens édifices religieux de Bruxelles qui est aussi « la perle » du patrimoine historique d’Uccle : la chapelle Notre-Dame-des-Affligés, plus connue sous le nom de Chapelle de Stalle, sise au beau milieu d’un îlot de verdure à hauteur du n° 50 de la rue de Stalle, l’un des principaux axes de pénétration du sud de la capitale.

Cette communauté chrétienne catholique célèbre tous les dimanches matin (et occasionnellement à d’autres dates en rapport avec le calendrier liturgique) en rite byzantin et en langue française, sur le modèle de l’abbaye de Chevetogne (province de Namur), l’office divin, selon un cérémonial qui n’est pas seulement celui des orthodoxes mais également celui des catholiques ukrainiens, des melkites et des italo-grecs. L’officiant actuel, appelé recteur, est l’abbé Alban Doudelet, professeur honoraire de latin et de grec au Collège Sainte Gertrude de Nivelles.

La communauté a été fondée en janvier 1974 par le Père Philippe Melchior, un ancien étudiant du Russicum (Collège pontifical russe à Rome), alors qu’il officiait déjà selon le rite byzantin à l’église des Saints-Jean-et-Nicolas, à Saint-Josse-ten-Noode, où avait été disposée une iconostase rudimentaire. Il y associa à l’occasion le Foyer Oriental chrétien et la paroisse orthodoxe grecque de Bruxelles. Il s’entoure d’une vingtaine de sympathisants et collaborateurs, dont le futur chef de la chorale byzantine Luc Debutte, le notaire de Fays ainsi que le grand patriote Emmanuel Ryelandt. C’est « la première vie » de la jeune communauté, qui durera jusqu’en 1976.

La deuxième vie dura douze ans, jusqu’en 1988 : un local spécifiquement dédié à la liturgie byzantine est trouvé : l’annexe, dite « chapelle des Ukrainiens » adossée au flanc droit de l’église Saint-Joseph, square Frère-Orban, au Quartier-Léopold, à Bruxelles-ville. Cette chapelle, dédiée à Saint Volodymir (l’Ukrainien) avait aussi un accès rue Belliard. De cette époque date l’essor de la chorale, puisqu’on sait que les messes byzantines remplacent tout usage d’instrument de musique par le chant choral. Tout l’office, qui dure en moyenne 90 minutes, est chanté a capella du début à la fin, lectures et prières incluses. Compte tenu de son implantation proche du quartier européen, il n’est pas rare de voir l’un ou l’autre eurocrate assister aux offices.

Pour recruter de nouvelles voix il fut jugé utile de faire publier un avis dans la presse bruxelloise (grâce à l’intervention de l’un des correcteurs du journal Le Soir, Jean-Paul Henrard), ce qui s’avéra être un succès. Le recteur Melchior, nommé vicaire à Sainte-Suzanne (Schaerbeek), obtint en 1983 l’aide d’un diacre, Attila Schkoda, ordonné par le patriarche de Constantinople, Mgr Maximos V. Il sera secondé à partir de 1986 par l’abbé Serge Descy, futur recteur de la paroisse grecque-melkite-catholique de Bruxelles, célébrant, lui, en la Chapelle de Marie-la-Misérable, à Woluwé-Saint-Lambert, où se produisit la Communauté lors de la visite du patriarche Maximos. A peine nommé Cardinal, Mgr Godfried Danneels, primat de Belgique présida une célébration au square et lut l’homélie en la chapelle désormais intégralement dédiée à Saint Jean-le-Précurseur.

Mais n’était-ce pas trop beau pour envisager l’avenir avec optimisme ? Le 17 décembre 1988, un samedi soir, la chapelle du square Frère-Orban est entièrement consumée par un violent incendie. Tout brûle. Sauf les calices. Des journaux évoquent, non sans quelque sous-entendu complotiste, « la destruction d’un lieu de culte catholiques et oriental ». Une enquête judiciaire est ouverte. Elle se conclura par un non-lieu à la suite d’une expertise évoquant « la possibilité d’une combustion spontanée due à la présence d’une bouteille de gaz ».

On est à la veille de Noël et il faut trouver une solution d’urgence. Une souscription est ouverte pour maintenir en vie la Communauté. Soixante donateurs y participeront. Ce sera, pour un bref délai – et ici débute la troisième vie de Jean-le-Précurseur – , l’occupation d’une chapelle… vouée à la démolition, celle des Sœurs Réparatrices, rue Van den Driessche, à Woluwé-Saint-Pierre, puis, de manière tout aussi aléatoire, chez les Sœurs de la Trinité, avenue de la Couronne à Ixelles.

Finalement, une solution pérenne est trouvée au printemps 1989 : ce sera la chapelle existant au sous-sol du couvent des carmélites, dit Carmel Saint-Joseph, rue des Drapiers, juste en face du siège de Fabrimétal (la fédération des industries métalliques devenue ensuite Agoria). Ainsi débute la quatrième vie de la Communauté, la plus longue historiquement puisqu’elle durera jusqu’en 2014. D’abord provisoire (jusque 1992), l’occupation devient permanente grâce à l’intervention de la prieure du carmel, sœur Isabelle de Lannoy, coopération renforcée en 1993 par la prieure, Renée Simon, qui permit un aménagement durable des lieux et une iconostase rénovée par les soins du père Ivan Davidof, celui-là même qui avait reconstruit l’église orthodoxe de Pskov en Russie septentrionale. La communauté a désormais 25 ans, ce qui sera fêté par un jubilé présidé par Mgr Lanneau, évêque auxiliaire de Bruxelles. Pour les célébrations de l’an 2000 la chorale de St Jean assura les chants d’une messe télévisée à la RTBF. De leur côté les membres de la communauté se cotisent pour envoyer des fonds notamment aux Parents d’accueil de Tchernobyl ou pour le carmel Kerith à Lumumbashi (Congo). En 1911, la communauté accueille Mgr Léonard récemment promu archevêque.

Mais s’annonce une nouvelle bourrasque. Et l’on entre dans la cinquième vie de Jean-le-Précurseur à la suite de la décision de l’ordre central du Carmel (en France) de déménager le couvent des sœurs carmélites et de transférer l’immeuble de la rue des Drapiers à la Fondation Josefa, une maison d’accueil pour réfugiés ayant officiellement bénéficié du droit d’asile. Nouveau branle-bas-de-combat dans la presse (dans La Libre notamment, qui titre « Des cathos byzantins en quête d’église »).

Finalement, grâce aux contacts noués avec Mgr Cockerols, alors évêque auxiliaire pour Bruxelles, et avec la Fabrique d’Eglise Saint-Pierre à Uccle, une convention est signée en février 2015, pour l’occupation les dimanches et jours fériés, en matinée, de la Chapelle de Stalle, avec des restrictions liées au classement de l’édifice par la Commission royale des Monuments et des sites : toute la chapelle, une construction gothique du XVe siècle, est protégée tant intérieurement qu’extérieurement. Pas question d’y installer une iconostase, seulement deux icônes peuvent être exposées, accrochées aux piliers du chœur, deux eptaphos (chandeliers à sept branches) allumés pendant l’office et l’autel, don de l’abbaye de Chevetogne, utilisé régulièrement. La chorale est à présent dirigée, avec une maîtrise reconnue de tous, par Dominique Foret, professeure de chant à l’Académie de musique de la populeuse commune de Schaerbeek.

La célébration officielle du cinquantenaire de la Communauté aura lieu le dimanche 22 septembre 2024, quatre jours avant la venue du Pape François en Belgique, en présence du chanoine Tony Frison, vicaire épiscopal pour Bruxelles.

(1) https://comunautestjeanleprecurseur.com

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