A Genève, révolution dans un vieux musée

texte et images D. LYSSE ©

Genève, patrie du calvinisme, n’a pas la réputation d’être la ville la plus amusante du monde. Et si on pense à une sortie débridée, divertissante, la première option qui passe par l’esprit n’est peut-être pas un musée d’Art et d’Histoire installé dans un pompeux bâtiment du dix-neuvième siècle. Mais il ne faut pas se fier aux clichés et aux apparences ! Du moins jusqu’en juin, le musée d’Art et d’Histoire de Genève est le théâtre d’une expérience particulièrement amusante, attrayante, surprenante. Les conservateurs en ont peut-être eu assez, un matin, de la présentation traditionnelle, chronologique, en commençant avec la Mésopotamie et l’Égypte ancienne pour arriver à Renoir puis au vingtième siècle. Ils ne supportaient peut-être plus de voir tous les jours les mêmes tableaux, les mêmes sculptures et les mêmes vases grecs mis en vedette aux cimaises et dans les vitrines.

Alors ils ont réexaminé tout leur stock, chefs-d’œuvres, œuvres secondaires, et puis tous ces trucs et ces bidules mis en réserve, qui ont pu être jugés un jour dignes d’être conservés, ou offerts au musée, sans qu’on sache trop bien qu’en faire ensuite. Ils ont choisi là-dedans un très large échantillon puis ils l’ont accroché pêle-mêle, en se fiant à leur inspiration, à leur sens de l’humour, à un thème, à un mot-clé, à des associations d’idées, de formes, de couleurs ou de matière.

Une salle, par exemple, regroupe des pots de toutes les époques et de toutes les origines rangés plus ou moins par ordre de taille ou par matériau pour former un immense serpent. Ailleurs on trouve une sorte de brocante de rêve, avec un déluge de costumes, de dentelles, d’horloges, d’argenterie, d’instruments de musique et d’objets insolites agrémentés d’authentiques et précieuses œuvres d’art, et aussi de moulages en plâtre qui ont dû servir pour des écoles, il y a longtemps. Ce long couloir-là, où tout est classé par couleur, possède un charme fou. C’est une caverne d’Ali-Baba, un piège où les yeux peuvent s’égarer, isoler un objet, puis un autre, puis revenir à l’ensemble avec délectation.

La visite suppose d’ailleurs une certaine rééducation du regard. Le visiteur est incité à faire confiance à son jugement et à ses affinités spontanées sans se laisser impressionner par un nom, prestigieux ou méprisé, inscrit sur une étiquette. Si on veut absolument connaître l’auteur ou la provenance précise de quelque chose, il faut parfois chercher un peu, trouver les répertoires dispersés dans les salles. Mais on se rend compte que, finalement, c’est secondaire : qu’importe s’il s’agit de Picasso ou de Tartempion, pourvu qu’on ait été touché, surpris, envoûté, ou qu’on ait ri.

Typique de la présentation est une salle où ne figurent que d’austères grandes pièces de tissu ou de peintures avec des rayures. De l’abstrait sans concession, des carrés et des lignes, pour les amateurs d’extrême dépouillement. On peut supposer que, pendant le montage, un des membres de l’équipe a dû lâcher une fine plaisanterie du genre : il ne manque vraiment plus qu’un zèbre, là-dedans ! Et tout le monde, autour de lui, a dû s’écrier : mais oui, tout à fait, quelle idée géniale ! Et téléphoner illico au muséum d’histoire naturelle pour qu’on leur prête l’animal empaillé.

Le zèbre contemple maintenant de ses beaux yeux de verre le public ébloui par tant de liberté dans la présentation, ou râlant du manque de respect pour les plus pieux souvenirs. Il faut reconnaître que les vénérables collections en prennent un insolent coup de jeune, au point qu’on les parcourrait presque en skateboard, pour le fun. Cerise sur le gâteau, pour que chacun se sente le bienvenu, le prix d’entrée est laissé à l’appréciation du visiteur, entre zéro et un million.

Pour le spectateur, cela représente une fascinante expérience. On découvre qu’une mamie un peu guindée, connue plutôt pour son bon goût, peut aussi faire des grimaces et animer une fête avec des blagues incroyables. C’est d’autant plus beau que c’est provisoire : on sait bien qu’elle n’a pas sombré dans la folie mais qu’après ce joyeux moment de détente, elle redeviendra l’honorable vieille dame pleine de sagesse et un peu cérémonieuse qu’on a toujours connue. On ne l’en aimera que mieux. Une idée dont on pourrait s’inspirer…

 

Pour des informations pratiques et le site du « Musée d’art et d’histoire » appuyez ici

Février 2022
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