À LIÈGE : RELIQUAIRES, ART CONTEMPORAIN ET ART BRUT

© Texte et photos D. LYSSE  12-2025

Comment éveiller la curiosité d’un public pas obligatoirement branché sur l’art religieux ancien, lorsqu’on doit présenter une collection de reliquaires, de vierges à l’enfant et d’ostensoirs? C’est la question qu’a dû se poser le directeur du musée du Trésor de la Cathédrale de Liège, récemment rénové. Dans un registre différent, un problème similaire risque d’apparaître s’il faut intéresser des passants à des travaux relevant d’un art contemporain assez pointu : les œuvres y sont parfois peu explicites et demandent un lourd appareil explicatif pour être comprises des non initiés.

Une solution originale à ce relatif isolement des collections spécialisées pourrait consister à unir leurs deux solitudes et de proposer aux visiteurs un mélange d’œuvres anciennes et très récentes. Parfois, elles dialogueraient harmonieusement, au moins d’un point de vue formel, parfois elles se contenteraient de reposer simplement côte à côte et de juxtaposer leurs singularités en combinaisons improbables, qui auraient au moins le mérite de surprendre l’œil du quidam et de soutenir son attention. C’est le parti qu’a pris le musée de la cathédrale en invitant le collectif Espace 251 Nord, dédié à l’art contemporain, pour aménager un parcours mixte, enrichi ça et là de quelques statues et statuettes venues des sociétés traditionnelles africaines.

Dans le musée ainsi réarrangé, une photo grandeur nature d’une femme couchée au sol, en habits civils, voisine ainsi avec le gisant gothique d’un évêque revêtu d’un costume sacerdotal d’apparat. Ailleurs, une longue tige de rosier repliée en cercles puis séchée, garnie encore de fleurs brunies, semble évoquer la couronne du Christ. L’artiste, Léo Copers, nous explique son intention dans la notice que voici : « Une couronne est similaire à l’OR. L’or rend quelque chose d’important, le calice de la messe d’or, la chaussure d’or, etc. Celui qui porte la couronne, la couronne d’or, est puissant, est roi, reine, empereur… Une couronne de fleurs, cependant, est plus populaire, pensez aux hippies, et plus encore… Une couronne de fleurs de roses… Les roses ont des épines… La couronne d’épines de Jésus… Conclusion : les couronnes sont aussi trompeuses que l’or. » Sur un mur proche, on voit également un chapelet où, sur chaque grain, une mouche morte a été collée. Des travaux qui interpelleront et laisseront sans doute aussi peu indifférent que la nouvelle crèche de la Grand-Place de Bruxelles.

D’autres œuvres ont un rapport moins immédiat, ou en tout cas moins formel, avec la collection religieuse. Sonorisant les combles où sont placés les tissus orientaux du Moyen Âge et le reliquaire de saint Lambert, une vidéo montre ainsi du dessus un homme qui fume une cigarette avec indifférence pendant qu’on le bombarde, sans jamais le blesser, avec des bouteilles vides qui éclatent autour de lui. Sur un autre écran, dans la galerie des peintures, une envoûteuse africaine nous est montrée giflant et maraboutant une photo de Donald Trump. Ailleurs encore, des clichés originaux d’Hitler en train de travailler sa gestuelle d’orateur ont été reproduits, retouchés par morphing, démultipliés à l’image, et se déforment lentement.

Un violoncelliste a aussi été filmé jouant un morceau de Chopin « à l’envers », depuis la dernière note jusqu’à la première, sans se laisser distraire par les apparitions occasionnelles d’un intrus grimaçant dans le champ de la caméra. Ou alors trois mannequins portant des djellabas marquées des sigles Nike, Fila et Adidas ont été placés devant des vocations de saint Paul et autres couronnements de la Vierge, provenant de diverses sacristies et églises de la région. L’ensemble, pour les habitués du musée, renouvelle évidemment la visite. Pour les autres, cela ne devrait pas manquer de faire parler des lieux et d’attirer des amateurs de visions insolites, que les deux expositions, restées séparées, n’auraient peut-être pas tenté. C’est tout le bien qu’on souhaite aux organisateurs, qui auront dans ce cas réussi leur pari !

À peu de distance du cloître de Saint-Paul, une troisième collection liégeoise se distingue par son caractère un peu singulier, pointu, et fait preuve de la même ambition de toucher le grand public et de lui faire aborder des domaines peu familiers : c’est celle du Trinkhall Museum, un musée dont il a déjà été question dans ces colonnes. Situé dans le parc d’Avroy. il est consacré à ce qu’on appelait jadis « l’art brut », un art que les gestionnaires de l’institution définissent plus précisément comme « des œuvres réalisées en contexte d’atelier par des personnes en situation de handicap mental ou, plus généralement, par des artistes dits fragiles ». L’institution s’offre actuellement une petite rétrospective : un regard sur les accrochages des cinq dernières années, qui propose au passant une belle diversité d’approches et de techniques. Au rez-de-chaussée, une exposition individuelle fait découvrir les pastels d’Inès Andouche, un travail solide, expressif, coloré, qui frappe par la clarté et la cohérence de ses choix plastiques.

Un complément idéal à l’exposition du Trésor de la cathédrale et, pourquoi pas, une idée de partenariat futur qui confronterait reliquaires et ciboires aux productions d’artistes « fragiles » pour d’autres dialogues improbables titillant l’œil et l’esprit du visiteur.

 

 

 

 

Infos : https://www.tresordeliege.be

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